Thème 3 HISTOIRES D'ORIGINES par Chantal T.
( ET PUIS CEUX-LÀ )
Celle à qui les voleurs d'enfants avaient pris la sœur et qui dans sa vieillesse la cherchait encore.
Ceux qui passaient les frontières, exilés aux pieds nus, au corps affamé, sans jamais renoncer à un monde de lumière.
Ceux-là même qui sont nés dix fois mais qui dans la souffrance et I'espérance ont vraiment existé.
Ceux qui ont terminé leur fuite en France, se sont installés dans le 20éme arrondissement et ont fait des enfants.
Celles qui s'interrogeaient sur leur âge incertain.
Celle qui ne savait ni lire ni écrire, qui soulevait des montagnes et qu'on croisait sur tous les marchés de Paris.
Celle qui dansait dans sa cuisine et mijotait des musiques comme Mozart sur son autre piano.
Celle qui empruntait quat' sous pour aller voir Charlot.
Celle qui pleurait tellement elle riait.
Celui qui fumait la pipe, parlait peu, se promenait seul, vieil homme sage aux cheveux blancs.
Celui-là qui, dans les petits matins de Paris, une étoile jaune cousue sur son cœur en peur, glissait la propagande sous les portes.
Ceux dont I'accent a ravi mon adolescence.
Celle qui, d'un bout de tissu, faisait une robe à ma poupée.
Celle qui courait nus pieds dans la neige et qui avait peur des chevaux montés par les cosaques.
Celle encore qui a grandi dans un ghetto près de Treblinka et dont le père était boucher.
Celui qui a vécu dans les rues de Paris.
Celle et celui qui dansaient toute la nuit avant la guerre.
Ceux-là mêmes qui ne savaient pas encore que I'horreur les guettait.
Celle qui partait voir sa sœur à Drancy, lui porter un colis.
Celle encore qui ôtait son étoile pour aller voir son fils caché en Normandie.
Celle qui a écrit à sa sœur : « nous partons travailler dans un camp à Auschwitz ».
Celle qui a oublié sa langue natale.
Celui qui nous raconte encore cinq ans de captivité, parce que « la vie est belle ».
Celui-là même qui, les mortes saisons, arpentait tout Paris en quête de boulot.
Toujours celui qui ne croyait pas au ciel mais qui croyait en son parti, et qui, dans sa musette des dimanches matins, vendait les lendemains qui chantent.
Ceux qui allaient en vacances à la campagne, à Noisy-le-Grand.
Tous ceux qui faisaient la fête tout le temps pour panser leurs blessures.
Ceux-là même qui riaient, qui chantaient, qui se déchiraient, qui s'aimaient durement.
Celui qui, à 20 ans, ne voulait pas la faire et qui s'est mutilé sur la terre d'Algérie.
Celui toujours qui, de ses mains en or, a taillé et cousu pour les grands couturiers.
Celui que j'ai aimé, qui est parti deux fois, la deuxième, pour toujours.
Celui que j'ai mis au monde et qui en arrivant m'a rendue éternelle.
Celui-là même dont les chaînes des esclaves grincent dans les rêves, qui cherche son nom d'Afrique, ignorant qu'il ne reste sans doute qu'un numéro inscrit sur un registre d’un sombre état civil.
CHANTAL T.