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Thème 6  SEMAINE par Chantal T.



Lundi :


Mise en garde du lecteur : la semaine en repos 0 (zéro) dans les bureaux suppose de savoir compter jusqu’à 5 et d'ajouter 2, pendant 36 ans et jusqu’à son 60ème anniversaire. On additionne, on multiplie, on soustrait, on compte à rebours, on espère y arriver..., et tous les matins, comme ce lundi...


Le café répand son parfum sur un air de cafetière en fin de mission blooouuu ! France Inter entre dans mes oreilles. J'ouvre mes volets…


Mauvais réveil, il fait froid, «comme un lundi». Journée calfeutrée dans mon petit bureau d'un grand bâtiment de verre entre les tours Mercuriales et l'embranchement de I'autoroute de la porte de Bagnolet... Au loin, se dessinent les rochers aux singes du zoo de Vincennes.


Le Comité d'entreprise,  c'est un peu comme la mairie d'une grande ville de la région parisienne. Sauf qu'on n'y célèbre pas les mariages, dommage ! Néanmoins, on travaille pour une population qui est celle de la RATP.


La journée glisse au son des doigts pianotant sur le clavier, au mouvement des dossiers mis à jour au fil de leur état d'avancement. Aujourd'hui : Télé Billettique.

Au service économique, 2ème étage, des mots nouveaux ont fait irruption comme maison mère, groupe RATP, déspécialisation, contractualisation… qui ne s'oublient pas totalement lorsqu'en fin d'après-midi, on ferme la porte du bureau.


Ce soir, je fermerai mes volets après une journée ordinaire de travail, d'échanges, d'un peu de rires et de petites joies...


Mardi :


Le café répand son parfum sur un air de cafetière en fin de mission. Blooouuu ! France Inter entre dans mes oreilles... J 'ouvre mes volets !


Tout à coup, un ouragan traverse la cuisine, me dit «au revoir» Et moi de répondre «salut ! bonne journée !» et de penser : Il ne doit pas être en avance !

Pour aller d'une ville de la Seine-Saint-Denis très proche d'une autre ville de ce même département, je dois emprunter trois autobus. Le premier devrait me conduire au second, mais il n'assure cet endroit qu'à I'heure où je prends mon service. J'ai donc essayé d'autres solutions, et opté pour une marche à pied de 20 minutes tous les matins. Je traverse une zone pavillonnaire où, je ne rencontre pas un chat, sauf des chats qui rentrent à la maison après une nuit de chasse. L’hiver les cheminées fument et répandent leur parfum de bois brûlé. J’avance dans mes pensées, tout au long du trajet, jusqu’à l’arrêt du 221. Ce matin, l’attente est longue, le bus est en retard et le stress gagne l’abribus. Il faut dire que je suis plantée là depuis 30 minutes, debout le long de la nationale, en-dessous de l’autoroute, dans le bruit et la pollution, proche des portes de l’enfer.


Ce soir, à l’atelier d’écriture, l’émotion fut à son comble quand Catherine nous a fait voyager sur sa ligne.


J’ai refermé mes volets en pensant très fortement à toutes ces femmes d’exception que l’on croise tous les jours dans le monde du travail, impitoyable et merveilleux à la fois.


Mercredi :


La révision


Le café répand son parfum sur un air de cafetière en fin de mission. Blooouuu ! France Inter entre dans mes oreilles... J 'ouvre mes volets !


C'est le jour où les cartables jouent aux billes tandis que je flirte avec des souvenirs d’école :

I  x 2 = 2 tonnes de la blanche héroïne qui traversaient la mer

2 x 2 = 4

3 morts de la maladie de la viande rouge

4 x 2 = 8

5 x 2 = 10 jours pour boucler mon PV de séance

6 x 2 = 12

7 x 2 = 14

8 x 2 = 16

9 morts dans les territoires palestiniens : 2 militaires Israéliens + 7 enfants Palestiniens

I0 x 2 = 20 ans ...


Finalement, je n'aime toujours pas les tables de multiplication.


Jeudi :

«Nous voulons être les poètes de notre vie, et cela avant tout dans les plus petites choses quotidiennes»

Friedrich Nietzsche.


Le café répand son parfum sur un air de cafetière en fin de mission. Blooouuu ! France Inter entre dans mes oreilles... J 'ouvre mes volets !


Les volets cachent leurs secrets,

Les volets sont discrets.

Chez moi, ils s'ouvrent et se ferment en accordéon,

Mais où sont partis les flonflons ?

Où sont passés les volets en bois

Que traversait le soleil du matin ?

Nostalgie des temps anciens.


Pour certains, les petites choses quotidiennes sont d'une amère poésie. Au chômeur qu'importe I'ouverture des volets, le café déborde, il n'allume plus la radio. Les plus petites choses de la vie sont remises à demain. Au malade, aujourd'hui, les volets sont fermés, il va rester couché.


Moi, quand j'aurai fermé mes volets, je n'allumerai pas la télé, elle tue la poésie.



Vendredi :

« Mais à cet endroit,  en ce moment, l'humanité c’est nous, que cela vous plaise ou non »

Samuel Beckett

(Relevé par Daniel Mermet dans Là-bas si j’y suis, carnet de route.)


Le café répand son parfum sur un air de cafetière en fin de mission. Blooouuu ! France Inter entre dans mes oreilles et qu'y met-elle ?


Trois SDF polonais, sauvagement assassinés en plein Montreuil, ville de la Seine Saint-Denis.


L'endroit,  c'est la cuisine et il est 7 heures du matin. L'humanité, c'est ce fait divers et ma tartine qui reste accrochée aux ondes. Violence de l'info balancée à l'état brut, à une heure de grande écoute. Son caractère effroyable m'a foudroyée et des mots martèlent le silence : Seine-Saint-Denis, SDF, plein Montreuil, Polonais. Désespoir de la solitude dans une ville rongée par l’indifférence. Pourquoi ? Comment ? Je reste sur ma faim en avalant ma tartine. Et puis, je n’ai pas le temps…d'être coupable.


Travail, routine, de petits cris de révolte, de gros cris, étouffés, tout le monde s'en fout personne s'en fout, chacun interprète de I'extrême droite à I'extrême gauche. Ceux-là n’ont pas d'idées, ceux-ci sont sûrs que les étrangers sont des sauvages parce que pas comme eux et moi qui saute dans ma baignoire et qui m'y noie.            


Aujourd'hui, mes volets sont restés fermés. Bonsoir.


Samedi :


« Manquer d’imagination, c’est ne pas imaginer le manque »

Nanterre. Graffiti mars 68

(Relevé par Daniel Mermet dans Là-bas si j’y suis, carnet de route.)


Ce matin, le courage me manque… Je tire ma flemme sous la couette… La cafetière attendra… Je médite ce graffiti… car deux mois plus tard I'imagination déchaussait les pavés. Personne n’imaginait le manque, sauf de nourriture si bien que tous les magasins étaient dévalisés.


En France, la bouffe dégouline des gondoles, mais beaucoup manquent d'argent. Les uns manquent de chance quand les autres manquent de cul et que mon amie manque de bol. Celui-là ne manque pas d’air et celle-ci ne manque pas d'toupet ! Tout çà manque d’intérêt pour la voisine qui manque d'amour car le voisin manque d'imagination. Heureusement qu’en France on n'manque pas d'idées !


Ce soir, après le balai, le plumeau, la serpillière, le supermarché, la lessive, le fer à repasser, les casseroles... Tiens ? Une séance de cinéma ! Je fermerai les volets sans manquer de fatigue.



Dimanche :

< Il y eut un soir et il y eut un matin >

La Bible


J'ouvre mes volets... la cafetière part en mission. Porte-drapeau du jour renaissant, entraîné par sa fanfare : Bllloooouuùf.

Au commencement, il y eut la piscine, vide, lumières encore éteintes. Dans I'obscurité du monde aquatique, je suis au cœur du ventre maternel. Je l’entends battre et je souris en faisant des bulles au son du clapotis du liquide de la vie.


Aujourd'hui, je n'ai rien prévu. Je n’ai appelé personne et personne ne m'a appelée. Mon fils dort, sûrement jusqu'au milieu de I'après-midi. Alors, je me prépare à une journée d'oisiveté. Je vais errer au fil de mes envies et j'aime ça.


Mais, enfin de soirée, comme la nature, c'est bien connu, a horreur du vide, en voilà une qui vient frapper à la porte et que le chanteur célèbre avec sa voix en costume de larmes. Il s'en fait une amie, et par la farandole des mots, elle prend figure de femme.


Moi, je ne la nomme plus. Je me demande si elle n'aurait pas disparu de ma vie. Ou plutôt, comme le dit Reggiani, ne serait-elle pas devenue une douce habitude ?


Cependant, certains jours, elle apparaît au bout du canapé. Tel un malaise, elle envoie sur le cœur une légère pression qu'il répand jusque dans le plus petit vaisseau. L'angoisse fait son nid dans la gorge, puis elle s'éloigne. Ce n'est alors qu'une apparition, un fantôme du silence, le poids du vide.


Ce soir, la solitude s'installe au fond du canapé. Pour la chasser, je m'allonge, prends un livre, m'enfouis sous une couverture et tente de I'ignorer. Peut-être que je lui fais mal, je vais sans doute l'étouffer, étendue sur sa chair. Car, je voudrais bien l'écraser, mais elle est la plus forte quand le sentiment d'abandon fait remonter de vieux souvenirs, des démons de I'enfance.


Non vraiment, c'est une ennemie qui est entrée chez moi. Je ferme mes volets...


CHANTAL T.

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