Thème 5  L’ALPHABET par Laurence POISSY

A comme Accord : Pour qu'une idée devienne projet puis réalisation, I'accord entre les différents intervenants requis est indispensable. À mon sens, c'est donc la base du travail.

Et là je m'interroge.  On sait que tous les moyens pour parvenir à un accord ne sont pas bons. Ce qui, à la RATP,  prend tout son sens lors «d'accords syndicaux» qui sont des désaccords profonds entre «le taulier» et les syndicats et virent au rapport de force. On est loin de l'étymologie de ce mot si beau.

B comme Bibliobus : C'est un outil merveilleux au sein des bibliothèques qui apporte le loisir culturel au plus près des agents de la RATP. Nous dépendons toutefois du bon vouloir du chef de dépôt pour obtenir l’autorisation de stationner et du temps donné aux agents pendant la permanence du camion. Je ne connais pas le nombre exact des attachements à la RATP, toutefois ils sont tous disséminés dans Paris et sa banlieue et il reste à faire beaucoup afin que nos horaires collent plus aux roulements inégaux des différents corps de métier de l'entreprise. Une partie d’entre eux, les ouvriers, ont un travail sédentaire, dans un atelier et nous avons peu de difficultés à les rencontrer, exceptées les relations avec les chefs de dépôts, comme nous le verrons après… Les roulants, machinistes ou conducteurs sont en déplacement constant, avec en plus des horaires morcelés et repartis à des heures souvent incongrues.

Pour les agents que nous rencontrons, il semble que le bibliobus soit important. Et ils sont prêts, si nécessaire, à le défendre comme l'histoire qui suit va nous l'apprendre.

Dans un dépôt de bus dont je tairais le nom, le bibliobus entre directement dans l’atelier pour la moitié de la  permanence. Un chef, en plein excès de zèle, sans doute, a bien essayé, de s'y opposer. Son geste a déclenché un mouvement de grève immédiat d’un bon nombre de gars. Ils ont obtenu gain de cause.

Je trouve cette histoire révélatrice de notre rôle, qui est de faire en sorte que la lecture et la musique soient des partenaires pour chacun, quelle que soit son origine culturelle et sociale. C’est dans cet état d'esprit que je travaille au quotidien au sein de l'équipe des Bibliothèques et  tous nos projets vont dans ce sens également.

C comme Congés et comme cauchemar mais aussi cocaïne, charme, catin, coquelicot, cancer, chocolat, chagrin, colibri, cerise, Crohn,  câlin...

Et c'est ainsi que j'énumère,  cachée,  ce qui pourrait me toucher.

M comme Matricule ou comment «chosifier» les personnes:

L’histoire nous a donné des exemples terrifiants, gravés dans la chair pour certains. Et dans leur âme.

Cela reste pourtant un outil de gestion pour nos bureaucrates. À la RATP,  grosse entreprise, chaque individu en possède un. C’est l’identification des agents. Et certains deviennent possédés par ce matricule. À tel point que les adhérents des bibliothèques du Comité d’entreprise annoncent celui-ci à la place de leur nom. Cela me sidère toujours après seize années, que dans ce lieu de loisir, où I'imaginaire est roi, on utilise spontanément ce moyen technique de reconnaissance...

Je mets toujours un point d’honneur à rendre aux adhérents leur droit à l’identité patronymique et à tenter sciemment de retenir le nom de chacun au bout d'un certain temps.

R comme Réserve : C'est un devoir, dans le travail en particulier. Je I'ai appris, souvent à mes dépends. Ce devoir permet de ne pas mélanger le travail et l'affectif.  Seulement voilà, je suis une épidermique, et j'ai parfois de la peine à trouver la frontière.

C'est pourtant dans le travail, en tout cas pour I'expérience que j'en ai, que circulent des bruits faramineux et incessants. Les couloirs semblent parfois être le lieu privilégié pour «travailler».

L'opinion que I'on se fait des collègues est basée sur «radio couloir» plutôt que sur leurs capacités de travail.

L’exemple que je me propose de donner n'est qu'une infime partie de tout ce que j'ai pu constater au fil des ans.

Les bibliothèques du Comité Régie d'Entreprise traînent une réputation sulfureuse très difficile à modifier, semble-t-il. Elle se présente en deux blocs :

Le personnel de ce secteur est cossard (ici, moue de dégoût devant tant de mauvaise volonté supposée pour des collègues dont on ne connaît pas la teneur du métier : inconnu=mauvais).

Ce sont des «cultureux» (ici, bouche en cul de poule exprimant tous le mépris allant avec cette affirmation).

Si chacun au sein du CRE ne parlait toujours qu'en connaissance de cause, de nombreux malentendus seraient évités.

J'aime papoter, mais je dois exercer mon droit de réserve pour savoir ou s'arrête le petit plaisir innocent et où commence la médisance vraie, celle des dérives.

Que s'éteigne «radio couloir», et que s’ouvre une ère de rencontre et de connaissance de «l'autre» dans son métier d’abord, et plus si affinités...

T comme Travail, bien sûr : C'est toujours la valeur de référence majeure alors que des milliers de gens sont sur le carreau. Les plus jeunes et les plus anciens, qui sont les plus touchés, sont aussi les plus fragiles.

La famille, l'autre grande valeur sociale, est atomisée par ce fléau et se brise sur l’arête du nécessaire. On n'aide plus en vrai, alors la rue devient le lieu de (sur)vie.

Pour les heureux veinards qui en ont encore, du travail, il faut être performant et rentable. On oublie facilement qu’un peu d'huile dans les rouages adoucit le mécanisme et le rend humain, tout simplement.

Z comme Zygomatiques : (muscles (en)rubanés dit le dictionnaire). Mes muscles préférés, sans aucun doute même si les abdominaux, me sont plus utiles.

Quoique !

Il s'agit, non pas de rire de tout, mais d’être sensible à la légèreté des choses et de nos semblables ; pour en percevoir également tout le sérieux.

J'aurai pu traiter de ceci en lettre «R», comme rire, mais j'ai choisi «R» comme réserve. L’un n'empêche pas l’autre.

LAURENCE POISSY