Thème 8  INSTANTS DE RÉVOLTE   par Nicole JEANNE-LEFORT

Révolte, ta première lettre est difficile à articuler, il faut appuyer dessus pour le prononcer : èrrrrrrrrrrrrrr mais, me dit-on, il y a «rêve» dans ton mot et je n'y avais pas pensé sur le coup.

À présent oui, peut-être qu'il me faut réfléchir davantage et y trouver toute la douceur du rêve.

Révolte,  j'écris ton mot.

Révoltée, c'est l'adjectif qui me colle à la peau. Celle qui ne sait pas se contenter de, mais qui cherche toujours à améliorer, à avoir plus.

Quoi, me direz-vous ! Et bien tout. Insatisfaite ? Peut-être. Et alors, pourquoi pas !

Ne pas vivre que de regrets, aigrie par les manques de n'avoir pas... n'avoir pas dit, pas fait, pas tenté.  Alors çà oui, je crois que révoltée, je le suis.

Maman, ma chère maman chérie, je veux vivre ce que tu as tant désiré dire, faire, sans jamais oser tant le regard des autres était important pour toi. Je ne veux pas vivre tes regrets. Je veux coller mes révoltes à mes pulsions du moment, je veux bousculer le pas permis, oser le pas dit. C'est ma revanche pour toi, maman,  si coincée dans les conventions, dans le trop respect, dans tes références si lointaines de ma personnalité. Je veux vivre tout à fond et tant pis si ça ne se fait pas.

À l'école, on voit tout de suite que je serais en perpétuel conflit, car je bouge, je m'insurge. J'ai de mauvaises notes de conduite parce que je parle tout le temps. J'ai besoin de m'exprimer, mais on ne m'écoute pas. Il ne faut pas parler. Chut ! Silence.

Fin des vacances, si merveilleuses vacances en colo du CE, là où j'ai appris I'amitié, les chants d'espoir, ma dernière colo ! Mes meilleurs souvenirs de vacances d'adolescente : I'insouciance, les jeux, les copines, les fêtes,  tout le bonheur. C'est là aussi que je découvre la musique classique. Nos matins étaient réveillés doucement par le concerto n°1 de Tchaïkovski.

J'écoutais paresseusement le chant des violons avant ceux des oiseaux. Et puis les derniers jours, quand on sent que c'est la fin des vacances les interrogations commencent : « Qu'est-ce que tu fais après les vacances ? » Question innocente qui me donne des coups de poignards dans le cœur ! La honte, MA honte, car je vais travailler, je ne veux pas le dire.

Et c'est I'usine, MA HONTE. Facile pour trouver du boulot : j'entre dans I'imprimerie où les filles de la famille ont toutes plus ou moins travaillé. Je découvre la pointeuse, on est à la queue leu leu, je baisse les yeux, pour ne pas rencontrer ceux des autres.

Je pense aux copines d'école que j'ai laissées.

À l'usine, pas le droit de parler non plus. C'est le rendement qui compte. Le travail à la chaîne, le Taylorisme,  dans toute sa splendeur ! On se lève toutes, ensemble, pour le «petit besoin» faut pas perdre de temps. Pas de CHSCT, du coup pas de douche, un local exigu comme vestiaire, 59 heures par semaine… Heureusement, la jeunesse est là… À 14 ans on rigole de tout. Et puis un salut : les cours du soir pour sortir de là (cours de sténodactylo pour faire comme ma sœur que j’enviais pour toutes ses anecdotes du collège, peut-être pour retrouver son ambiance…). Petits boulots dans divers bureaux, ça y est, je suis de l’autre côté de la barrière : celle du métier «noble» des blouses blanches. Que c’est bête, quand j’y pense aujourd’hui, parce que l’imprimerie regorge de beaux métiers : la brochure, la reliure…Le temps passe. Et puis vient 68, avec ses revendications salariales, ce mouvement fraternel. On ose enfin manifester devant les entreprises, on pardonne à ma jeunesse. Puis je rejoins les grands mouvements nationaux et c’est le RÊVE qui arrive, celui de l’espoir d’un lendemain heureux. Merci RÉVOLTE.

RATP, It’s me. Tu m’attendais, c’est sûr, pour que je retrouve ma famille. Déception ! les pools ! What is a Pool ? Un endroit où je retombe en enfance, installe-toi ici, fais ceci comme ci et pas comme ça. Assois-toi. Commence. Stop. Arrête-toi. RÉVOLTE me revoilà.

NICOLE JEANNE-LEFORT