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Thème 5  L’ALPHABET  (suite 1) par Chantal T.




E comme Enfant


Au fond du petit lit, I’enfant a pris son pouce.

Demain, trop tôt, dans, la chambre voisine, le réveil va sonner. Il entendra une porte s’ouvrir, la sienne se refermera tout doucement, en laissant filtrer un rai de lumière. Puis, à son tour bousculé par le temps qu’il faudra vaincre, il lèvera son sommeil, et tous les deux, cartable sur le dos, regagneront l’école, la maîtresse, les copains.

Certaines nuits, l’enfant fait des cauchemars, poursuivi par des loups ou des méchants. Il pleure, il appelle. Il ne veut pas rester seul. Ces nuits sont ponctuées de petits pas feutrés qui courent dans la maison. Ce sont des matins qui annoncent des journées d’absences pendant l’école, les yeux dans le néant, son esprit se repose. Il a perdu le fil de la leçon.  C'est un

petit enfant de banlieue et sa ballade commence par la garderie et finit par la garderie, un paquet de choco BN dans un sac en plastique.

Pendant les petites vacances, il prend le même chemin de la même école baptisée « centre de loisirs », le mercredi aussi. Alors parfois, I'enfant s'accroche aux jupes parce qu'il a peur qu'on I'oublie ou qu'il se sent perdu. Ses journées ont un goût d'abandon. Il cherche autour de lui quelque chose qui le rassure et ne le quitte plus : un nounours, un chiffon, une femme de service, une maman, une maîtresse...

Il y a aussi I'enfant qui manque d'amour, il se fait tout petit. Il sait qu'il ne doit pas se plaindre, pas pleurer, pas parler passer inaperçu, se nier tout autant qu'on le nie. On en a tous déjà croisé ; leur regard est celui de I'effroi du silence qu'il s'impose.

L'enfant est un bien grand homme, et pourtant le massacrer est un jeu d'enfant ! Celui des adultes malades de leur enfance, qui ne savent pas s'aimer, qui ne peuvent pas aimer.

L'enfant peut tout subir et se taire une vie entière. Il gardera dans sa mémoire, dans sa chair, des blessures terribles, béantes, mais tellement bien cachées dans des bouts de chiffons qu'elles resteront enfouies, pesantes, déroutantes mais silencieuses.

Dans la mer de I'enfance, nagent des poissons de lune qui regardent le ciel étoilé sans autre nuage que celui ouaté du père NoëI. Mais pour les autres, comment atteindre le rivage si la mer déchaînée brasse dans ses eaux la colère terrifiante des grands, la bouteille vidée, la violence des vagues qui s'échouent sur I'impossible souffrance de I'enfance maltraitée qui ne lève jamais les yeux vers les cieux pour voir le père Noël.


F comme Familles


La famille, point à la ligne

De bus, de métro.

Dans le jeu de cartes,

Appelé sept familles,

On compte sept grands-mères,

Et aussi sept grands-Pères

Familles tronquées,

Ou aïeux oubliés.

La famille, point à la ligne

De bus, de métro,

D'ateliers, de bureaux.

Chez nous, c'est la grande famille

Qui emprunte la même ligne

Comme dans les corons,

Pour un seul Patron

Tous au fond d'la mine.

La famille, Point à la ligne

De bus, de métro,

D'ateliers, de bureaux,

De chantiers, de dépôts.

Mais voilà ses enfants terribles

Qui contestent et qui manifestent.

Ensemble,  ils forment une famille.

Lorsqu'ils font des enfants,

C'est plein de petites familles

De bus' de métro,

D'ateliers, de bureaux,

De chantiers, de dépôts,

De terminus, de faisceaux,

Rien de plus, rien de trop.


I comme Inapte


Il portait le courrier chaque matin. Visage rieur, l’air un peu triste. Au début, on parlait de la pluie, du beau temps, du cirque et des voyages aussi. Parce qu'il avait fait du cirque.

On échangeait nos pochettes bleues et il repartait, station Bonne Nouvelle.

Puis, il a parlé d'autres choses posément, calmement. Une anecdote, un risque du métier : un jour, un voyageur s'est jeté sous son train. Ce n’est pas le moment de perdre son sang froid… Il y a du monde dans les wagons et d’autres métros derrière.

Le lendemain, il a pris son service. Le surlendemain, il est resté à quai ; c’est lui qui a disjoncté. Depuis il ne va plus très bien, il ne vit que par des médicaments et même ne vit pas très bien.

   La RATP a appliqué le règlement : reprise du travail une journée, accident du travail refusé ! Et c’est comme ça qu’il est devenu inapte.


J comme Jeunes


Dehors,  les jeunes !


Mais aussi «N 'entre pas dans mon âme avec tes chaussures» proverbe Rom relevé dans Là-bas si j'y suis de D. Mermet.


Le samedi soir, les jeunes vont danser. Il y a Poutcho, couvreur le jour et vendeur de pizza le soir, Momo le plombier, Fabien I'italien, Ali I'animateur sportif municipal, Bob I'infirmier et Mic le chauffeur.

Le samedi soir, la maison s'imprègne d'eau de toilette,  les Kenzo (chaussures chic) sont de sortie et trépignent d'impatience. Quand les jeunes se préparent à faire la fête, les mères sont contentes car elles applaudissent: leurs enfants et les copains sont heureux !

Et cette mère-là se couche et s'endort. Mais qu'est ce qui cloche dans son sommeil ? Une appréhension ? L'angoisse ! Il est une heure du matin lorsqu'elle entend un bruit de voiture qui stationne, le claquement d'une porte, la grille du jardin qui se plaint timidement, dérangée qu'elle est dans la nuit tranquille et... lentement, la clé dans la serrure. Là, elle devine que la soirée des jeunes qui aiment danser le samedi soir a tourné en errance,  refusés dans les boîtes où on joue d'la bonne musique. Il y a certains soirs où on accepterait bien Fabien I'Italien et Bob I'infirmier,  mais pas Poutcho le Réunionnais, ni Momo de la Sierra Leone, ni Mic I'Antillais, ni Ali le Marocain. Alors, tout le monde reste dehors.

Elle I'entend monter I'escalier et regagner sa chambre ; les marches, comme désolées pleurent et font craquer le bois. Elle brûle d'envie de lui parler, mais n'ose pas. Le moindre mot prononcé serait une maladresse, alors elle se tait. En fait, elle veut se rassurer et finit par s'inventer un besoin, descend I'escalier pour rencontrer les Kenzo qui, témoins de la soirée, font semblant de dormir, se laissent contempler, si propres, impossible qu'elles soient allées danser ce samedi soir !


C'est l'histoire banale d'un jeune au chômage depuis 4 ans quand le miracle tombe un matin dans sa boîte aux lettres. La RATP répond à sa candidature d'ouvrier et l'attend sur les bancs du recrutement. Il achète à crédit une petite cylindrée. Recommandation vite exécutée avec endettement à la clé ! La RATP utilise les hommes jour et nuit pour exploiter, réparer, entretenir son matériel !…

Après tout le parcours difficile de l'embauche, le voilà ouvrier dans un atelier. Un vrai travail ! Un statut ! Être ! Je suis ! II est !… Reconnu ! Humain ! Vivant ! L'avenir... Mais un jour  victime d'un accident de moto, le voilà immobilisé plusieurs mois. La poisse ! Il reprend son travail et arrive enfin le jour du commissionnement. C’est la titularisation I'instant où Ie prétendant sera confirmé apte à être matriculé définitivement. Moment solennel. À part l'accident qui n'était plus qu'un mauvais souvenir, il avait fait son travail avec beaucoup de conscience professionnelle et d'intérêt. C'est sûr de lui qu’il se retrouve assis dans un bureau face à un « petit décideur», mais ce dernier tente de le renvoyer sur les bancs de I'ANPE. Comme le jeune agent a vu rouge le « petit décideur » a calmé son pouvoir et I'a inscrit définitivement sur son registre des matricules.

  

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