Page ARAGON Louis 1

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Vladimir VISSOTSKI

VISITE PRÉNUPTIALE


Mon voisin d'à côté fait bombance,

Son invité est un gros bonnet,

Et la patronne frétillante,

Court au cellier.

La clé grince dans le pêne,

On monte plats sur plats,

Et le poêle tire au poil,

Par l'ouverture !


Chez moi au contraire, tout marche à l'envers,

Mon jardin ne donne rien, ou bien le bétail crève

Ou le poêle qui tire mal enfume la maisonnée,

Et j'ai la gueule toute de travers.


Mon voisin, lui, s'en met plein la poire;

Le village entend craquer leurs mâchoires,

Et leur fille fiancée pleine de boutons,

Est mûrie à point.


Chez eux c'est visite prénuptiale,

Avec des montagnes de beignets,

Et même le fiancé tout maigrelet

Chante et danse.


Chez moi les chiens enchaînés se déchaînent,

Ils aboient dans la nuit puis se mettent à hurler,

Les durillons de mes pieds sont tout percés,

A piétiner le sol de ma chambre déserte.


Ça descend sec chez le voisin !

Qui ne boirait quand ça coule à flots,

Qui ne chanterait quand on est bien

Et que ça ne coûte rien ?

Ici ma bonne femme est en gésine,

Ici les oies piaillent de famine,

Et je m'en fiche de ces oies

Puisque rien ne va !


Chez moi des farfadets se baladent,

Je les chasse à tour de bras, et les revoilà !

J'ai un furoncle en un endroit déplacé,

Il est temps de labourer et je suis coincé.


Mon voisin a envoyé son gamin,

Par générosité il m'a invité,

Evidemment j'ai refusé,

Mais il a insisté.

Il a mis un litron à gauche,

Il a mis de l'eau dans son vin,

J'ai accepté, picolé et piaillé,

Ça n'a rien arrangé.


Au beau milieu de celte débauche

J'ai bavassé à l'oreille du fiancé,

Il a bondi comme un vrai possédé,

La fiancée là-haut éclate en sanglots.


Le voisin gueule: "Le peuple, c'est moi !

Et j'observe la loi fondamentale",

Donc "qui ne travaille pas ne boit pas"

Et il vide son godet !

Tous les invités d'un coup se sont levés,

Mais le gamin met son grain de sel :

"Erreur, mon papa : Qui ne travaille pas

Ne mange pas !"


Et moi je restai planté avec mon billet graissé,

Pour chasser demain ma gueule de bois,

Tenant mon accordéon serré dans mes bras

Puisque c'est pour lui qu'on m'a invité.


Mon voisin vide un second litre,

Dodeline du chef et m'engueule :

Chante un coup, tu n'as pas bu

Pour des prunes !

Deux malabars baraqués

Me prennent à la ceinture,

"Tu joues et tu chantes, enfoiré,

Ou on t'arrange le portrait !"


C'est le sommet de la fête !

On serre en douce la fiancée de près,

Et je chante les jours de flonflon :

"Du temps que j'étais postillon !"


Ils ont servi la soupe de poissons

Avec des abattis en gelée,

Puis ils ont chopé le fiancé

Et lui ont filé une raclée.

Puis ils ont dansé dans l'isba,

Se sont battus sans animosité,

Puis chacun a écrasé ce qu'il avait

De bien en soi.


Moi, je gémissais comme un butor dans un coin,

Effondré, puis j'ai mis les mains sur les hanches,

En me demandant : mais avec qui boirai-je demain

Parmi mes compagnons de ce dimanche ?


Le matin là-bas le calme règne toujours

Une mie de pain coincée dans la joue,

Et ça se saoule sans gueule de bois

Et ça bouffe !

Personne n'aboie dans un coup de colère

Le chien traîne dans la petite entrée,

Et le poêle est fait de carreaux bleutés

Avec son ouverture.


Or chez moi-même par temps clair

Mon âme brûlante languit dans la nuit,

Je bois à longs traits l'eau du puits

Je nettoie mon accordéon et ma femme vitupère.

  

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