LA TEMPETE SE DÉCHAINE

 

La tempête se déchaîne tout le soir,

Et pendant qu'en lambeaux d'écume volent

Les coutures déchirées du sable,

Je regarde penché sur le spectacle

La crête des vagues se briser.


Je compatis aux défunts

Un peu et de loin.


J'entends un râle, un gémissement de mort

Et la fureur de ne pas en avoir réchappé.

Ce serait le bouquet ! Prendre un tel élan,

Rassembler ses forces, enfoncer la grille

Et se briser la tête à l'orée du but !


Je compatis aux défunts

Un peu et de loin.


Ah les crinières blanches du destin

Qui semblent embellir au seuil de la mort,

À l'appel de la trompette guerrière

Les vagues se cabrent dans leur envol,

Et brisent leurs cous ployés.


Et nous compatissons aux défunts

Un peu et de loin.


Le vent de nouveau bat les crêtes

Ébouriffant les crinières d'écume.

Mais la vague, victime d'un croche-pied,

N'emportera pas au loin la barrière

Et le cheval en nage s'écroulera.


Et les autres compatiront

À son agonie de loin.


Et mon tour à moi, mon tour viendra,

Un souffle sur mon cou me pousse vers l'abîme,

Le pressentiment envahit mon âme en délire ;

Je sens que je vais me briser l'échine,

Je sens que je vais me rompre la tête.


Ils compatiront sur ma mort

Un peu et de loin.


Ainsi au cours des siècles bien des hommes

Restent assis sur le rivage et observent

Avec attention et vigilance les autres

Près d'eux, sur des pierres, occupés

A briser les crêtes et les têtes.


Ils compatissent aux défunts

Un peu et de loin.


Mais dans les fonds ténébreux de l'océan

Dans les profondeurs secrètes où rôdent

Les cachalots, naîtra et se gonflera

Une vague unique et gigantesque

Qui déferlera sur le rivage

Et engloutira les spectateurs.


Et je compatirai aux défunts

Un peu et de loin !

  

Vladimir VISSOTSKI