LA MER


Le jour où, sûrs du soutien de la terre,

Nous partirons, pile à l'heure dite,

Sur l'eau profonde, sur l'océan salé

La mer commencera à nous bercer

Comme la mère de mauvais sujets.


Sous le choc des vagues nos visages en sueur

Tailleront les flancs de nos vaisseaux

Et patiemment les machines transformeront

En mois les secondes qui s'égrènent sur mesure.


La surface lisse de l'eau nous entoure, félicité !

Sur des milles sans fin alentour, pas une âme

Et les matelots ont grand peine après le tangage

À trouver le sommeil dans le calme domestique.


Nous avançons sans jours de fête, sans jour de congé

En mer, même sans repos, nous avons notre lot d'ennuis ;

Nous oublions tous nos petites amies

Qui nous attendent et que nous laissons tomber.

Pourvu qu'elles nous pardonnent ce péché !


Mensonge ! Nous soupirons pour elle près de la poupe

Et dans nos rêves nous répétons en secret leurs noms.

Ici nous ne faisons pas la chasse au jupon,

Nous ne cherchons pas le bonheur, mais un bon joint !


La surface lisse de l'eau nous entoure, félicité !

Ni mur ni palissade, tu peux brailler et danser !

Et les matelots ont grand peine après le tangage

À trouver le sommeil dans le calme du confort.


Chaque fois nous prenons la mer, fiancés

Avec la terre, promise fidèle entre toutes,

Pour revenir exactement à l'heure fixée,

Comme si là-bas nous n'étions pas bercés

Par la mer, la mère de tous les mauvais sujets.


Le phare là-haut a oublié son clin d’œil,

Il écarquille les yeux, hébété, ahuri,

Il a vu le chalutier dressé sur ses hélices,

En encastrer les tours sur la borne.


Rester planté sur le quai, quelle félicité !

Et se balancer sur la terre ferme jusqu'à l'extase !

Nous qui revenons, jamais on ne nous habituera

Après nos ouragans, à la paix tant attendue.

Vladimir VISSOTSKI