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LA CHANSON DES INGÉNUES


  NOUS sommes les Ingénues

  Aux bandeaux plats, à l’œil bleu,

  Qui vivons, presque inconnues,

  Dans les romans qu’on lit peu.


  Nous allons entrelacées,

  Et le jour n’est pas plus pur

  Que le fond de nos pensées,

  Et nos rêves sont d’azur ;


  Et nous coupons par les prés

  Et rions et babillons

  Des aubes jusqu’aux vesprées,

  Et chansons aux papillons ;


  Et des chapeaux de bergères

  Défendent notre fraîcheur,

  Et nos robes ─ si légères ─

  Sont d’une extrême blancheur ;


  Les Richelieux, les Caussades

  Et les chevaliers Faublas

  Nous prodiguent les œillades,

  Les saluts et les « hélas ! »


  Mais en vain, et leurs mimiques

  Se viennent casser le nez

  Devant les plis ironiques

  De nos jupons détournés ;


  Et notre candeur se raille

  Des imaginations

  De ces raseurs de muraille,

  Bien que parfois nous sentions


  Battre nos cœurs sous nos mantes

  À des pensers clandestins,

  En nous sachant les amantes

  Futures des libertins.

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