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       CHANSON DE FOU (VII)


Les rats du cimetière proche,
Midi sonnant,
Bourdonnent dans la cloche.




Ils ont mordu le cœur des morts
El s’engraissent de ses remords.




Ils dévorent le ver qui mange tout
Et leur faim dure jusqu’au bout.




Ce sont des rats
Mangeant le monde

De haut en bas.



 
L’église ? — elle était large et solennelle
Avec la foi des pauvres gens en elle,
Et la voici anéantie
Depuis qu’ils ont, les rats,
Mangé l’hostie.




Les blocs de granit se déchaussent
Les niches d’or comme des fosses
S’entrouvrent vides ;
Toute la gloire évocatoire
Tombe des hauts piliers et des absides
Au son des glas.




Les rats,
Ils ont rongé les auréoles bénévoles,
Les jointes mains
De la croyance aux lendemains,
Les tendresses mystiques
Au fond des yeux des extatiques
Et les lèvres de la prière

En baisers d’or sur les bouches de la misère ;
Les rats,
Ils ont rongé le bourg entier
De haut en bas,
Comme un grenier.




Aussi
Que maintenant s’en aillent
Les tocsins fous ou les sonnailles
Criant pitié, criant merci,
Hurlant, par au-delà des toits,
Jusqu’aux échos qui meuglent,
Nul plus n’entend et personne ne voit :
Puisqu’elle est l’âme des champs,
Pour bien longtemps,
Aveugle.




Et les seuls rats du cimetière proche,
À l’Angelus hoquetant et tintant,
Causent avec la cloche.

  

Émile VERHAEREN

Les campagnes hallucinées

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