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                               VOYELLES


A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein de strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !



                                                T



L'étoile a pleuré rose au cœur de tes oreilles,

L'infini roulé blanc de ta nuque à tes reins

la mer a perlé rousse à tes mames vermeilles

et l'Homme saigné noir à ton flanc souverain.



                                                T



Le Juste restait droit sur ses hanches solides

Un rayon lui donnait l'épaule ; des sueurs

Me prirent ; " Tu veux voir rutiler les bolides ?


" Par des farces de nuit ton front est épié,

Ô Juste ! Il faut gagner un toit Dis ta prière,

La bouche dans ton drap doucement expié ;

Et si quelque égaré choque ton ostiaire,

Dis ; Frère, va plus loin, je suis estropié ! "


Et le Juste restait debout, dans l'épouvante

Bleuâtre des gazons après le soleil mort :

" Alors, mettrais-tu tes genouillères en vente,

Ô Vieillard ? Pèlerin sacré ! Barde d'Armor !

Pleureur des Oliviers ! Main que la pitié gante !


"Barde de la famille et poing de la cité,

Croyant très doux ; ô cœur tombé dans les calices,

Majestés et vertus, amour et cécité,

Juste ! plus bête et plus dégoûtant que les lices !

Je suis celui qui souffre et qui s'est révolté !


" Et ça me fait pleurer sur mon ventre, ô stupide,

Et bien dire, l'espoir fameux de ton pardon !

Je suis maudit, tu sais !

 Je suis soûl, fou, livide,

Ce que tu veux ! Mais va te coucher, voyons donc,

Juste ! Je ne veux rien à ton cerveau torpide.


" C'est toi le Juste, enfin, le Juste ! C'est assez !

C'est vrai que ta tendresse et ta raison sereines

Reniflent dans la nuit comme des cétacés !

Que tu fais proscrire, et dégoises des thrènes

Sur d'effroyables becs de canne fracassés !


" Et c'est toi l'œil de Dieu ! le lâche ! Quand les plantes

Froides des pieds divins passeraient sur mon cou,

Tu es lâche ! Ô ton front qui fourmille de lentes !

Socrates et Jésus, Saints et Justes, dégoût !

Respectez le Maudit suprême aux nuits sanglantes ! "


J'avais crié cela sur la terre, et la nuit

Calme et blanche occupait les cieux pendant ma fièvre.

Je relevai mon front : le fantôme avait fui,

Emportant l'ironie atroce de ma lèvre...

-- Vents nocturnes, venez au Maudit ! Parlez-lui !


Cependant que silencieux sous les pilastres

D'azur, allongeant les comètes et les nœuds

D'univers, remuement énorme sans désastres,

L'ordre, éternel veilleur, rame aux cieux lumineux

Et de sa drague en feu laisse filer les astres !


Ah ! qu'il s'en aille, lui, la gorge cravatée

 De honte, ruminant toujours mon ennui, doux

Comme le sucre sur la denture gâtée.

-- Tel que la chienne après l'assaut des fiers toutous,

Léchant son flanc d'où pend une entraille emportée.


Qu'il dise charités crasseuses et progrès...

-- J'exècre tous ces yeux de chinois à bedaines,

Puis qui chante : nana, comme un tas d'enfants près

De mourir, idiots doux aux chansons soudaines :

Ô Justes, nous chierons dans vos ventres de grès !

Arthur RIMBAUD

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