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Jacques PRÉVERT

SPECTACLE

AUBERVILLIERS


I


CHANSON DES ENFANTS


Gentils enfants d'Aubervilliers

Vous plongez la tête la première

Dans les eaux grasses de la misère

Où flottent les vieux morceaux de liège

Avec les pauvres vieux chats crevés

Mais votre jeunesse vous protège

Et vous êtes les privilégiés

D'un monde hostile et sans pitié

Le triste monde d'Aubervilliers

Où sans cesse vos pères et mères

Ont toujours travaillé

Pour échapper à la misère

A la misère d'Aubervilliers

A la misère du monde entier

Gentils enfants d'Aubervilliers

Gentils enfants des prolétaires

Gentils enfants de la misère

Gentils enfants du monde entier

Gentils enfants d'Aubervilliers

C'est les vacances et c'est l'été

Mais pour vous le bord de la mer

La côte d'azur et le grand air

C'est la poussière d'Aubervilliers

Et vous jetez sur le pavé

Les pauvres dés de la misère

Et de l'enfance désœuvrée

Et qui pourrait vous en blâmer

Gentils enfants d'Aubervilliers

Gentils enfants des prolétaires

Gentils enfants de la misère

Gentils enfants d'Aubervilliers.



II


CHANSON DE L'EAU


Furtive comme un petit rat

Un petit rat d’Aubervilliers

Comme la misère qui court les rues

Les petites rues d’Aubervilliers

L'eau courante court sur le pavé

Sur le pavé d’Aubervilliers

Elle se dépêche

Elle est pressée

On dirait qu'elle veut échapper

Echapper à Aubervilliers

Pour s'en aller dans la campagne

Dans les prés et les forêts

Et raconter à ses compagnes

Les rivières les bois et les prés

Les simples rêves des ouvriers

Des ouvriers d'Aubervilliers.



III


CHANSON DE LA SEINE


La Seine a de la chance

Elle n’a pas de soucis

Elle se la coule douce

Le jour comme la nuit

Et elle sort de sa source

Tout doucement sans bruit

Et sans se faire de mousse

Sans sorti de son lit

Elle s’en va vers la mer

En passant par Paris

La Seine a de la chance

Elle n’a pas de soucis

Et quand elle se promène

Tout le long de ses quais

Avec sa belle robe verte

Et ses lumières dorées

Notre-Dame jalouse

Immobile et sévère

Du haut de toutes ses pierres

La regarde de travers

Mais la Seine s’en balance

Elle n’a pas de soucis

Elle se la coule douce

Le jour comme la nuit

Et s’en va vers le Havre

Et s’en va vers la mer

En passant comme un rêve

Au milieu des mystères

Des misères de Paris.