Rouget de Lisle
Passons, passons les mers, passons les noirs vallons,
Passons ! que les blés mûrs tombent dans les sillons !
Dans le Champ de Mars solitaire,
La grande foule arrive à flots ;
L'image d'un homme de guerre
Se dresse à l'ombre des drapeaux.
Comme le vent frémit dans l'arbre,
Un souffle passe sur les fronts,
Dans l'air, sur la cime des monts,
C'est la voix du soldat de marbre.
Passons, passons les mers, passons les noirs vallons,
Passons ! que les blés mûrs tombent dans les sillons !
Cette voix, c'est La Marseillaise,
Bouche d'airain, souffle de feu
La Révolution française
Qui frémit et gronde en tout lieu.
Ce soldat, c'est Rouget de Lisle !
Il n'eut jamais de monument
Pour que son ombre allât, errant
Dans l'air et sur le flot mobile.
Passons, passons les mers, passons les noirs vallons,
Passons ! que les blés mûrs tombent dans les sillons !
L'heure du triomphe est venue,
Il faut que, fantôme ou vivant,
Il apparaisse sous la nue,
Disant : « Peuple, sois fort et grand !
Plus de larmes, le monde est libre,
L'esclavage s'est effacé,
Car La Marseillaise a passé
De l'Orénoque jusqu'au Tibre. »
Passons, passons les mers, passons les noirs vallons,
Passons ! que les blés mûrs tombent dans les sillons !
Paris, 1865