Océan
Fragment de la légende du barde
Sur les races qui se transforment,
Sombre orage elles passeront,
Et si ceux qui veillent s’endorment
Ceux qui sont morts s’éveilleront.
Victor Hugo
Comme le flot grondant qui gagne le rivage,
Revenez, souvenirs d’hier ou de longtemps,
Revenez, c’est l’instant ; par la nuit et l’orage
Les morts hantent les ouragans.
Tout enfant, un navire éblouissait mon rêve ;
Il voguait, je ne sais sur quelle vaste mer,
À pleines voiles, seul vers l’horizon sans grève ;
Il semble que c’était hier.
Un autre songe encore a troublé mon enfance :
Une main pâle et froide, en de profondes nuits,
Me tendait un poignard, et le sombre silence
Disait : les destins sont écrits.
Dans mon rêve souvent ont flotté des bannières
Flamboyantes dans l’ombre ou noires dans les nuits ;
Les clartés de six mois sur les glaces polaires
Et l’Océan aux rauques bruits.
Ô mes amis ! j’ai vu le navire du rêve dans ma main ?
Tiendrai-je le poignard du rêve dans ma main ?
Ne faut-il pas toujours que le destin s’achève ?
Qu’importe ce soir ou demain !
Longtemps j’ai regardé Bonaparte l’infâme,
Me souvenant du songe, et son règne a passé.
Ce n’était donc pas lui ! Cependant de mon âme
Le songe n’est point effacé.
J’ai pensé bien souvent à l’étrange présage
Quand l’héritier sinistre essayait de grandir.
Mais ce n’était pas lui ; la flèche d’un sauvage,
Jeune encore l’a fait mourir.
J’ai vu sur les grands flots le navire du rêve,
J’ai dans le ciel en feu vu les drapeaux flottants ;
Je reverrai peut-être une lointaine grève ;
Amis, laissez souffler les vents.