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Louise MICHEL

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LE LIVRE DU BAGNE

                                           Océan

                            Fragment de la légende du barde




                                                       

                                                        Sur les races qui se transforment,

                                                        Sombre orage elles passeront,

                                                        Et si ceux qui veillent s’endorment

                                                        Ceux qui sont morts s’éveilleront.

                                                                                      Victor Hugo


Comme le flot grondant qui gagne le rivage,

Revenez, souvenirs d’hier ou de longtemps,

Revenez, c’est l’instant ; par la nuit et l’orage

              Les morts hantent les ouragans.


Tout enfant, un navire éblouissait mon rêve ;

Il voguait, je ne sais sur quelle vaste mer,

À pleines voiles, seul vers l’horizon sans grève ;

              Il semble que c’était hier.


Un autre songe encore a troublé mon enfance :

Une main pâle et froide, en de profondes nuits,

Me tendait un poignard, et le sombre silence

              Disait : les destins sont écrits.


Dans mon rêve souvent ont flotté des bannières

Flamboyantes dans l’ombre ou noires dans les nuits ;

Les clartés de six mois sur les glaces polaires

              Et l’Océan aux rauques bruits.


Ô mes amis ! j’ai vu le navire du rêve dans ma main ?

Tiendrai-je le poignard du rêve dans ma main ?

Ne faut-il pas toujours que le destin s’achève ?

              Qu’importe ce soir ou demain !


Longtemps j’ai regardé Bonaparte l’infâme,

Me souvenant du songe, et son règne a passé.

Ce n’était donc pas lui ! Cependant de mon âme

              Le songe n’est point effacé.


J’ai pensé bien souvent à l’étrange présage

Quand l’héritier sinistre essayait de grandir.

Mais ce n’était pas lui ; la flèche d’un sauvage,

              Jeune encore l’a fait mourir.


J’ai vu sur les grands flots le navire du rêve,

J’ai dans le ciel en feu vu les drapeaux flottants ;

Je reverrai peut-être une lointaine grève ;

              Amis, laissez souffler les vents.