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Louise MICHEL

L'ALBUM DE JEUNESSE

Méditation sur la mort de Monseigneur Sibour




Il est un être immense, éternel, immuable,

Par-delà tous les cieux aux rivages vermeils ;

Comme un troupeau soulève un nuage de sable,

Sous ses pas par milliers s'envolent les soleils.


Quand aux regards des saints son ombre est dévoilée,

À cet éclat trop vif ils dérobent leurs yeux ;

Et des mondes sans fin dans la nuit étoilée

Tremblent quand en silence il passe au fond des cieux.


Toujours avec amour il regarde les hommes ;

Mais parfois, comme un père irrité qui punit,

Dans sa main formidable, ainsi que des fantômes

Paraissent les fléaux qui tombent dans la nuit.


Tantôt c'est la famine horrible, la misère

Couverte de lambeaux, squelette à l'œil ardent,

La peste, ombre livide et l'implacable guerre

Dont les plus beaux lauriers sont maculés de sang.


Tantôt, spectre chargé d'un manteau de nuées,

C'est l'inondation, gigantesque tombeau

Des forêts en débris et des villes tuées,

Dont l'ange au dernier jour viendra lever le sceau.


Quand, semblable à l'autour planant dans la campagne,

La peste étend sur tous les voiles du tombeau,

Paisible, on voit s'asseoir en haut de la montagne

La mort, comme un berger qui compte son troupeau.


Et toujours vers celui qui rend droite la voie

Le peuple consterné recourt à deux genoux ;

Longtemps il prie, il pleure et le Seigneur envoie

Des anges tout-puissants qui combattent pour nous.


Mais quand l'impie armé vient frapper sa victime

Jusqu'aux pieds des autels, quand au fond du saint lieu

De notre siècle étrange, épouvantable crime,

Le sang du prêtre un jour se mêle au sang de Dieu ;


Quand rayonnant encor de la marque suprême,

Le signe ineffaçable au front encor récent,

Un prêtre est l'assassin, alors l'enfer lui-même,

L'enfer qui l'a poussé recule en frémissant.


Ah! Prions et pleurons, le front dans la poussière !

Revêtons le cilice et veillons dans la nuit !

Comme le roi-prophète à genoux sur la pierre,

Gémissons ! Notre temps est peut-être maudit !


Deux martyrs en huit ans! L'un meurt pour la patrie

En voulant des combats arrêter les horreurs,

L'autre aux pieds des autels pour le nom de Marie.

Ô Paris! Que fais-tu, dis-moi, de tes pasteurs ?


                                                                                   Millières, 16 janvier 1857

  

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