Les sphinx
Les plaines de Memphis étaient couvertes d’ombre
Et les roseaux du Nil frissonnaient dans la nuit
Le silence emplissait la solitude sombre
Le fleuve reposait dans son immense lit
Les villes de ce temps étaient de fortes villes
Sous leurs porches géants le regard s’effarait
Les monstres dominant les murs inaccessibles
Aux nuages du ciel mêlaient leurs noirs sommets
Dans l’ombre avec lenteur s’avançaient vers la plaine
Quatre sphynx effrayants aux croupes de granit
C’était étrange et beau ces monstres sans haleine
S’éveillant au mystère et sortant de la nuit
L’un venait d’Orient et l’on eût dit un homme
Le second d’occident et c’était un taureau
Le troisième venait du midi noir fantôme
À face de lion l’autre était un oiseau
Ils allaient à travers les vastes sables mornes
À travers les grands murs ainsi que des vapeurs
Ils allaient dépassant ce que l’on croit les bornes
On eût dit à les voir quatre monts voyageurs
Le premier dont la face était peut-être humaine
Interrogeait au loin les ombres de la plaine
Les profondeurs des nuits
De son regard de pierre il sondait les abîmes
Il passait sur les sables il passait sur les cimes
Sur les flots endormis
Le second ressemblait à l’Apis symbolique
Regardant devant lui le signe fatidique
Ne voyant rien ailleurs
Sans ralentir sa marche et sans courber la tête
Il s’avançait toujours force que rien n’arrête
Ni gouffre ni hauteurs
Le troisième effrayant en sa forme spectrale
Avançait rugissant dans un terrible râle
Et rien ne l’arrêtait
On sentait qu’à lui seul il défiait le monde
La mort planait sur lui et dans la nuit profonde
Ce lion avançait
Le dernier l’aigle avait de gigantesques ailes
Le silence éternel emplissait ses prunelles
Sous lui tout s’apaisait
Il descendait pourtant sa géante envergure
N’avait pas remué toute voix tout murmure
Devant lui se taisait
Les sphinx en se touchant soudain se confondirent
En un seul corps géant les monstres réunirent
Le granit de leur chair
La nuit se fit plus noire et Memphis fut plus sombre
Un souffle remplit l’air
De colosse formé des quatre sphinx de pierre
La voix disait savoir vouloir oser se taire
Et le sphinx s’envolait
Il avait du taureau la croupe un front de femme
Et des pieds de lion effrayant amalgame
Que l’aigle enveloppait
Les tourments dans l’air passèrent formidables
Fouettant la nuée et les flots et les sables
De leurs souffles géants
Et les mots qui sortaient des boucles de l’abîme
Par d’effrayants échos redits de cime en cime
Mugirent dans les vents