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Louise MICHEL

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GERMINAL, LA LÉGENDE FUTURE

                                 Les maîtres ivres

                                    Réponse à Clovis Hugues







                                                    Nous redirons nos deuils, notre espérance austère,

                                                                Nous qui sans remords

                                                                Regardons la terre

                                                                Où dorment les morts. 

                                                                                                           Clovis Hugues


Oui nous irons, amis, devant nous sans faiblesse,

Pensifs, la tête haute, et la main dans la main,

Mais ce n’est pas l’amour qu’aux heures de détresse

Doit le barde du peuple à ces fous en liesse,

Qui sapent les fruits d’or de l’idéal humain.

C’est la haine qu’il faut à notre espoir austère…

                     Nous tous, sans remords,

                     Passons sur la terre

                     Saluant les morts.


La haine pour l’ivresse où s’étalent les maîtres,

Pour leurs trafics sans nom, leurs mensonges honteux !

La haine pour le masque au visage des traîtres,

Laïques à grand bruit, qui financent aux prêtres

La haine pour la fange où mélange hideux,

Pots-de-vin, lacs de sang, fermentent, noir mystère !...

                     Nous tous, sans remords,

                     Passons sur la terre

                     Saluant les morts.


Pour la chasse qui passe affolée et hurlante,

Les chiens sur le gibier, sur les chiens les piqueurs,

Tous ivres, assoiffés, tous la gueule écumante,

Meute âpre à la curée et pleine d’épouvante,

Que talonne l’effroi, sentant que les vainqueurs

Seront enfin les serfs, lassés de la misère !

                     Nous tous, sans remords,

                     Passons sur la terre

                     Saluant les morts.


La haine pour l’orgie, indescriptible, immense !

La lutte des repus contre les meurt-de-faim,

Le carnaval ventru qui s’étale et qui danse

Ici sur les tombeaux, là-bas sous la potence !...

Charenton illumine et Belleville éteint,

La fête est au charnier, le silence au repaire…

                     Nous tous, sans remords,

                     Passons sur la terre

                     Saluant les morts.


Du chenil et de l’auge où l’on sait qu’on prospère

Sortent des légions d’êtres louches, douteux,

Le perroquet, le singe, à l’allure légère ;

De l’antre, pour les voir se dévorer entre eux,

Sortent les grands lions, le tigre et la panthère,

                     Nous tous, sans remords,

                     Passons sur la terre

                     Saluant les morts.


Ah ! les temps sont passés des longues saturnales !

Ainsi le peuple attend, et tandis que nos rangs

Grossissent, le vieux monde est aux heures fatales,

Où vont les dictateurs jeter leurs derniers râles ;

Le pouvoir vermoulu craque sous les tyrans,

C’est la haine du mal qui souffle sur la terre.

                     Nous tous, sans remords,

                     Passons sur la terre

                     Saluant les morts.


Et cette haine ardente est pure comme l’onde,

De la meute et du maître elle ignore les noms,

C’est plus loin qu’elle voit, c’est plus haut qu’elle gronde,

D’eux, sans souiller ses mains, elle purge le monde,

Comme on détruit l’insecte en brûlant les haillons ;

Allez, ô vieilles lois, réseau qui nous enserre :

                     Nous tous, sans remords,

                     Passons sur la terre

                     En vengeant les morts.