Les cycles
I
Par cycles éternels est la course des sphères,
Par cycles dans l’histoire ont progressé nos pères,
Ainsi reviennent les saisons.
Nous sommes à la fin de notre cycle horrible
Et comme au vent le sable et le blé dans un crible
Tombent hommes et nations.
Par cycles est tombé l’amas des jours sans nombre
Qui passent sans compter sur l’humanité sombre
Jetée aux transformations.
Dans ce passé qui dort ainsi qu’en une crypte
Dans l’Inde d’autrefois et dans la vieille Égypte
Les cycles eurent leurs saisons.
Nous sommes à l’hiver, par grandes envolées
Dans la brume et le vent s’effacent, dévoilées,
Les erreurs couvertes de sang
À la fin de l’hiver à ce janvier étrange
Où Germinal déjà faisait frissonner la fange
Sous un mystérieux courant.
II
Janvier au printemps se rattache
La neige est plus haute, et le vent
Coupe comme un tranchant de hache.
Mais déjà remplissant sa tâche,
La sève bout comme du sang.
Secouant le givre des branches,
Les grands chênes, les hauts sapins
Superbes sous les avalanches
Semblent dans leurs tuniques blanches
Des mages disant les destins.
Déjà grandissent sous la terre
De leurs manteaux gonflant les plis
Les jonquilles dans la clairière ;
Voici venir la primevère
Pâle et froide comme les lys.
Dans les haleines hivernales
Février mêle quelquefois
Ses vagissements à des râles.
Les aubes sont plus matinales
Et moins brumeuses à la fois.
Mars aux despotes redoutable,
Avril chantant ses lais d’amour
Suivent le cycle irrévocable
Et sous leur voile impénétrable
Ressemblent à l’aube du jour.
Voici les mois des hécatombes
Le doux mai tout chargé de fleurs,
Mai qui fait refleurir les tombes
Et remplit de vols de colombes
Le rude sentier des douleurs.
Juin qui sert la faulx dans les herbes
Séchant au chaud soleil d’été,
Juillet où l’on coupe les gerbes,
Le brûlant août aux jours superbes
Au ciel pur d’astres étoilé.
Septembre est le fruit couronné.
Octobre où l’écho dure encore
De l’évohé retentissant,
Novembre où dans la fauve aurore
Les feuilles qu’un reflet colore
S’en vont dans les valses du vent.
Muet, dormant, sous les rafales,
Décembre est le mois de la mort.
Comme des nuits les jours sont pâles
Dans l’air des brumes sépulcrales
Flottent, la bise souffle fort.
III
Depuis que tombèrent brûlantes
De l’orbe de feu des soleils
D’autres sphères, gouttes ardentes,
On vit des îles flamboyantes
Flotter en archipels vermeils.
Quels yeux alors virent ces choses ?
Au fond de quelle obscurité
Ces ères sont-elles écloses ?
Élaborant monstres et roses
Ainsi fut toute éternité.
L’éternité, le temps sans nombre,
Et sans rivage l’infini ;
Où tout être s’abîme et sombre,
Où tout jour retourne à la nuit.
Les choses, les êtres, les sphères
S’en vont aux éternels creusets ;
Et ce qu’on prit pour des chimères
Marque les jalons du progrès.
Ainsi notre cycle s’achève,
Sur lui-même se refermant ;
Et comme tout au fond du rêve
L’aube d’un jour éblouissant.
Alors graviteront les êtres
Comme les astres dans les cieux ;
Et nous comme les grands ancêtres,
Nous apparaîtrons monstrueux.
Et toujours dans la paix immense
On ira vers la vérité,
Étapes pleines d’espérance
Évoluant en liberté.