Le vautour
Légende italienne
I
La bataille est finie et le champ solitaire.
Les morts déjà raidis sont couchés sur la terre ;
L’ombre cache le sang.
Les oiseaux de la nuit viennent frappant leurs ailes,
Et les bêtes de proie aux yeux pleins d’étincelles
Hurlent en dévorant.
C’est une nuit d’été, pleine de senteurs vives ;
Le vent fait remuer les saules sur les rives,
Avec un bruit charmant.
Les blés, comme les flots, ondulent dans les plaines
Mais cet endroit fatal sous les souffles de haines
Est lugubre et sanglant.
Tout à coup, s’éveillant de quelque songe horrible,
L’un des pâles dormeurs, d’un mouvement pénible,
Entrouvre son œil lourd.
La fraîcheur de la nuit endormant la blessure,
Il pense et, près de lui, comme à la source pure
Boit un hideux vautour.
Le blessé songeant à la gloire flétrie
Pleure ses compagnons, perdus pour la patrie
Tous jeunes et vaillants,
Il pense à la défaite, à peine il peut y croire ;
Et dans l’horrible nuit, l’ombre se fait plus noire
Sur les morts effrayants.
Tout à coup, sur son cœur fond le vautour avide,
L’agonisant alors, levant sa main livide
Vers le ciel de Brutus,
S’écrie : ô liberté, lève-toi sur le monde
Au prix de notre sang ! et dans la pluie profonde,
Nul ne remua plus.
II
Sur ce jour ont déjà passé le temps et l’ombre,
La nature et la mort germent dans la nuit sombre
Ainsi que le froment ;
Le ver pâle, la taupe et les larves hideuses
Vont remuant les chairs ; des lèvres généreuses
Sous un essaim rampant.
Mais toujours on entend dans la sinistre plaine
Passer remplissant l’air de puissantes haleines,
L’appel de la liberté.
Il s’en va, des grands monts frappant les hautes cimes,
traversant les déserts, traversant les abîmes
Par le vent emporté.