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Louise MICHEL

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LES ANNÉES TERRIBLES

                                   Le vautour

                                    Légende italienne




                                                  I


La bataille est finie et le champ solitaire.

Les morts déjà raidis sont couchés sur la terre ;

                   L’ombre cache le sang.

Les oiseaux de la nuit viennent frappant leurs ailes,

Et les bêtes de proie aux yeux pleins d’étincelles

                   Hurlent en dévorant.


C’est une nuit d’été, pleine de senteurs vives ;

Le vent fait remuer les saules sur les rives,

                   Avec un bruit charmant.

Les blés, comme les flots, ondulent dans les plaines

Mais cet endroit fatal sous les souffles de haines

                   Est lugubre et sanglant.


Tout à coup, s’éveillant de quelque songe horrible,

L’un des pâles dormeurs, d’un mouvement pénible,

                   Entrouvre son œil lourd.

La fraîcheur de la nuit endormant la blessure,

Il pense et, près de lui, comme à la source pure

                   Boit un hideux vautour.


Le blessé songeant à la gloire flétrie

Pleure ses compagnons, perdus pour la patrie

                   Tous jeunes et vaillants,

Il pense à la défaite, à peine il peut y croire ;

Et dans l’horrible nuit, l’ombre se fait plus noire

                   Sur les morts effrayants.


Tout à coup, sur son cœur fond le vautour avide,

L’agonisant alors, levant sa main livide

                   Vers le ciel de Brutus,

S’écrie : ô liberté, lève-toi sur le monde

Au prix de notre sang ! et dans la pluie profonde,

                   Nul ne remua plus.


                                                 II


Sur ce jour ont déjà passé le temps et l’ombre,

La nature et la mort germent dans la nuit sombre

                   Ainsi que le froment ;

Le ver pâle, la taupe et les larves hideuses

Vont remuant les chairs ; des lèvres généreuses

                   Sous un essaim rampant.

Mais toujours on entend dans la sinistre plaine

Passer remplissant l’air de puissantes haleines,

                   L’appel de la liberté.

Il s’en va, des grands monts frappant les hautes cimes,

traversant les déserts, traversant les abîmes

                   Par le vent emporté.