Le rêve
Comme le flot frappe la grève
Ou comme aux bois souffle le vent,
Aux cœurs aussi chante le rêve,
Plus que la vie il est vivant.
Plus puissant que toute puissance,
Aussi plus haut il nous devance ;
Le rêve est magnifique et grand.
Un homme rêve, un être étrange
Qui jadis devait être né.
Un linceul eût bien fait son lange
Pour vivre aussi dans le passé,
Pour aimer les sombres images
D’égorgement au fond des âges,
En des temps au loin effacés.
Il va hanté d’horreur intense,
Il s’en va jetant un seul cri,
Un seul dans l’épouvante immense,
Morts aux Juifs ! à tous sans merci.
Traînant d’inconscientes foules,
Au milieu de hurlantes houles
De primitifs il est suivi.
Mais qu’est-ce donc cette fin d’époque
Qui mêle autrefois et demain
Ce qui vagit à ce qui est rauque,
Des râles au rire enfantin ?
Ce temps trouble, où Pierre l’Ermite
De la poussière ressuscite
Pour nier l’idéal humain ?
L’homme cherche un asile sombre
Et le silence autour de lui,
Il fuit le grand souffle dans l’ombre
Qui partout sonne l’hallali,
Entraînant les derniers fantômes
Dont les vents chassent les atomes
Disparaissant dans l’infini.
Ces spectres, le sang les appelle,
Partout des lacs en sont creusés ;
Ils y viennent à tire-d’aile
Planant sur les monts entassés.
Horribles, toutes les chimères
Mêlant leurs hordes meurtrières
Au sang boivent par rangs pressés.
Ils vont, ils vont par les vallées,
Par les plaines pourpres de sang
Où les foules tombent fauchées
Comme on coupe l’herbe d’un champ.
L’affreuse mer monte et s’élève,
Elle devient l’immense grève
Du passé hideux et sanglant.
Le sang des peuples qu’on égorge
Par grands flots va déferlant,
Au fond, avec un bruit de forge,
Le cœur du monde est là battant
Spectre éternel aussi, qui bouge,
L’Océan noir fleuri de rouge
Toujours, toujours, s’en va montant.
Partout sous la pourpre rafale
Les bouchers de peuples, au loin,
Rôdent ayant sur leurs fronts pâles
En lettres de sang : assassin.
Tous les Aboul Hamed horribles,
Bourreaux, inquisiteurs terribles
Paraissent pour tomber enfin.
Et l’homme sortant de son rêve
Dans l’aube reconnut Alger
Dormant sur la sinistre grève ;
Mais il ne vit rien remuer,
C’était bien la ville, mais morte.
Il regarde et sur chaque porte
Voit ceux qu’on venait d’égorger.
Aussi ceux qu’on traînait dans l’ombre :
Des vieux, des tout petits enfants
Sous les couteaux tombant sans nombre.
Qu’ont-ils fait ? dit-il. Ils sont Juifs !
N’as-tu pas dit toute la race
Doit périr sans laisser de trace ?
Nous sommes les tueurs passifs.
Le sang coule, c’était ton rêve,
Tu demandais l’égorgement ;
Avec son réveil il s’achève.
Pourquoi cet épouvantement ?
Le sang lui jaillit au visage,
Il tombe avec un bruit d’orage
Dans le jour vermeil se levant.
Au loin rouge se répand l’aube
Dans les espaces infinis,
En pourpre elle étale sa robe
Sur la foule des asservis,
Portant la mort et les tortures,
Et, sifflant dans les chevelures,
Des reptiles faisant leurs nids.
Lui secouant ses mains sanglantes
Ne retrouvera plus de paix,
De pourpre toujours rougissantes
Rien ne les lavera jamais ;
Et, rentrant dans l’horrible songe
Où le cruel passé le plonge,
Il en porte l’horrible paix.
Les maîtres pour garder la terre
Aussi décimèrent les troupeaux.
Arabes et Juifs, ô misère !
Votre sang est pour les ruisseaux.
Quand se dévorent les ilotes,
Les rois de l’or et les despotes
Peuvent engraisser les corbeaux.
Ô pauvres foules qu’on opprime !
Et qui sont pointers et setters
Dans la chasse où chaque victime
Gibier ou chien est un des leurs !
Le temps qui mêle les poussières
Démasquera de ses lumières
Les véritables égorgeurs.
Moi j'aime les hommes des tentes
Qui donnent le pain et le sel
Aux voyageurs par les tourmentes
Et vivent libres sous le ciel ;
Nul parmi ces pasteurs farouches
Ne regarde avec des yeux louches
L’hôte de son seuil fraternel.
Un soir, en New Calédonie
Nous vîmes au soleil couchant
Paraître ainsi qu’une magie
Des Arabes en burnous blanc,
Ils étaient fiers, naïfs et braves
Et ne voulaient point être esclaves,
D’eux nous parlons bien souvent.
Amis, les rois de la finance
Sont de partout dans l’univers,
De Rome, d’Israël, de France
Et partout cruels et pervers.
C’est la révolte universelle
Qui sèmera la foi nouvelle,
La liberté de l’univers.