Le peuple
À ceux qui criaient « Aux Prussiens » sur Eudes et sur Brideau
prisonniers, Montmartre, août 1870.
Puisque le peuple veut que l'aigle impériale
Plane sur son abjection
Puisqu'il dort écrasé sous la froide rafale
De léternelle oppression
Puisqu'ils veulent toujours
Tendre leur poitrine au couteau
Forçons ô mes amis l'horrible coupe-gorge
Nous délivrerons le troupeau
Un seul est légion quand il donne sa vie
Quand à tout il a dit adieu
Seul à seul nous irons l'audace terrifie
Nous avons le fer et le feu
Assez de lâchetés assez souffrir des traîtres
Foule vile bois mange et dors
Puisque tu veux attendre attends crois-en les maîtres
N'as-tu pas donc assez de morts
Le sang de tes enfants fait la terre vermeille
Dors dans le charnier aux murs sourds
Dors voici s'amasser abeille sur abeille
Les sombres essaims des faubourgs
Montmartre Belleville ô légions ardentes
Venez c'est l'heure d'en finir
Venez la honte est lourde et les chaînes pesantes
Venez il est beau de mourir
C'est à tous les tyrans qu'il faut faire la guerre
Pour que vienne la liberté
Montez montez faubourgs sans pitié sans colère
Montez vive l'égalité
Que nous fait après tout une horde d'esclaves
Qui ne veut pas de liberté
Une infinie poignée amoureuse d'entraves
Devant toute l'humanité
Amis qu'importe tout vive la République
Debout sous nos rouges drapeaux
Triomphons ou mourons phalange héroïque
À l'aurore des temps nouveaux
Nous disions : en avant ! vive la République !
Tout Paris répondra, tout Paris soulevé,
Se souvenant enfin, Paris fier, héroïque,
Dans son sang généreux de l'Empire lavé.
Voilà ce qu'on croyait ; la ville fut muette.
Je vois encor ce jour dans la brume au lointain.
Chaque volet se ferme et la rue est déserte.
Sur nos braves amis, on criait : Au Prussien !
15 août 1870