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Louise MICHEL

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LA LÉGENDE RÉPUBLICAINE

                              Le barde




Debout au pied d'un chêne à l'ombre prophétique,

Le barde était resté dans la forêt antique,

                    Interrogeant les nuits,

Les ténèbres, la mort ; perdu dans les mystères,

Et voyant au lointain s'enfuir vers d'autres terres

                    Des phalanges d'esprits.


La nuit était obscure et les ombres profondes ;

Et pourtant il voyait aux cieux errer les mondes,

                    Tournoyer les soleils;

Et la clarté venir, ouvrant de vastes ères

À l'univers obscur; les grandes lumières

                    Descendre en flots vermeils !


Mirage éblouissant : il vit au loin les mages,

Éclairant, à travers les ténèbres des âges,

                    Les générations.

« Teutatès, disait-il, à quoi bon mon courage ?

Et qui suis-je ? » L'Esprit dit : « La voix qui présage

                    Les révolutions ! »


Or, il ne savait pas, la Gaule étant paisible,

Que le soldat romain, à l'épée invincible,

                    Y placerait César;

Et ne comprenait point que le gibet infâme,

Dressé par les tyrans, défiait une âme

                    Bien plus haut que le char.



Huit ans se sont passés, et la voix des présages,

Autour du noir cromlech, dans les souffles d'orages,

                    S'éveille chaque nuit.

César règne vainqueur sur la Gaule conquise ;

Mais d'être sa captive indignée et surprise
                    La Gaule le maudit.


Les échos des forêts, les profondes ténèbres,

La nuit, vont répétant les paroles funèbres

                    Que disent les Gaulois,

Se souvenant du jour où, pâles d'épouvante,

Les vieux Romains ont vu leur stature géante

                    Pour la première fois.


Et le barde, debout, sous l'arbre fatidique,

Parlait, et de sa bouche austère et prophétique

                    Sortaient des mots de feu.

Car il n'était plus seul sous le chêne magique ;

Les Gaulois écoutant sa parole énergique

                    Croyaient ouïr leur Dieu.


« Pourquoi craindre la mort quand nous sommes esclaves ?

Disait-il ; mourir, c'est, affranchi des entraves,

                    Aborder l'infini.

Ce n'est pas le Romain dont le glaive moissonne,

C'est le destin qui frappe et c'est l'heure qui sonne

                    Quand l'exil est fini.


« Si parmi nos guerriers Hésus ne peut descendre,

Qu'à César effrayé ne restent plus que cendre

                    Et que débris fumants.

Qu'il dise : " Je n'ai pu, même chargés de chaînes,

Asservir les Gaulois. " ». Et tous, sous les grands chênes,

                    Répétaient ses serments.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Et pourtant, les Romains restèrent dans la Gaule,

Mais Romains ou Gaulois, le nom n'est qu'un symbole,

                    Tous les peuples sont un.

Ce qui fait les combats, ce qui fait les frontières,

C'est l'abus de la force et le peu de lumières,

                    L'égoïsme importun.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Par le glaive romain, au pied même des chênes,
Le barde fut frappé; tout le sang de ses veines

                    Bondit en flots pressés.

Il mourut ; le destin et la voix des présages,

Autour du noir cromlech, dans les souffles d'orages,

                    S'étaient-ils donc trompés?


Non, toujours ceux qui sont morts en disant : Patrie,

Que le peuple le sache, ou bien qu'il les oublie,

                    Ont leurs destins marqués.

Les uns sont éclaireurs et les autres victimes.

Tous viennent à leur heure, effrayants ou sublimes,

                    Vivants ou trépassés.


Il est donc revenu dans les jours de tempêtes ;

Semblable aux épis mûrs dont s'inclinent les têtes,

                    La foule en a frémi.

Il est venu, laissant du sommet des falaises,

De la cime des monts, tomber des Marseillaises

                    Sur le monde endormi.


                                                                              Paris, juillet 1867