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Louise MICHEL

LA LÉGENDE RÉPUBLICAINE

                                              La poésie





                                                                         À vous la poésie comme l'onde aux fontaines.

                                                                                                                 Le livre d'Hermann




Silence ! entendez-vous dans les gouffres profonds,

Avec leur voix d'airain, sonner les noirs clairons ?


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La vision me prit dans la grande ombre morne ;

Et par-delà les temps, les cieux que rien ne borne,

                   Nous allâmes tous deux.

On voyait comme en rêve errer d'étranges groupes ;

Formes vagues, portant des astres sur leurs croupes,

Des astres dans leurs yeux.


Dans l'éther, on sentait planer l'amour immense;

Une effluve suprême, une âme, une puissance,

                   Emplissait l'infini.

C'était un souffle errant, semblable au vent des plaines,

Plein d'orages, d'éclairs, de brûlantes haleines,

                   Redoutable et béni.


Il grondait dans les flots, dans les forêts profondes,

Dans l'abîme des cœurs et les gouffres des ondes,

                   Appel mystérieux,

Il était voix, parfum, amour, intelligence ;

Il attirait les cœurs, invincible puissance,

                   Et les portait aux cieux.


Oh ! comme il était beau, ce rayon des étoiles !

Oh ! comme il était doux et léger dans les voiles,

                   Cet orage divin !

Et les lueurs disaient une hymne parfumée,

Tandis qu'harmonieux, dans la nue enflammée

                   Montait le chant sans fin.


Partout le ciel avait des splendeurs inconnues,

Une aurore nouvelle éblouissait les nues,

                   Les cieux disaient : planez !

Envolez-vous ! disaient les aigles aux colombes;

Venez, disait l'azur; venez, disaient les tombes,

                   Et tout disait : aimez !


C'était sublime et beau d'une beauté suprême,

Comme si l'on eût vu l'éblouissement même

                   Passer au firmament.

Et partout on sentait une âme universelle,

Portant esprit, parfums, chants, azur sur son aile,

                   Être sylphe et géant.


Ce souffle créateur, c'était la poésie,

La poésie, esprit, amour, chant, ambroisie,

                   Âme, souffle de feu,

Qu'on sent, à travers l'ombre et les flots gris du sable,

Tantôt douce et charmante et tantôt formidable,

                   Apparaître en tout lieu ;


La poésie où vit la feuille, où l'oiseau chante,

Qui fuit dans le désert sur la cavale ardente

                   Vers l'horizon lointain ;

Mêlée à l'aube, aux soirs, aux tombes sous les herbes,

Aux forêts, à la nuit, aux ruines superbes,

                   Aux lyres, à l'airain.


C'est elle qui jadis se penchait rayonnante

Sur les mâts de Colomb. Son aile frémissante

                   Dirige le destin.

Du nid mystérieux soudain elle se lève

Et le siècle sort flamme, lumière ou glaive,

                   De son manteau divin.


Ô poésie ardente, ouragan dans les plaines,

Clairon du gouffre que les bouches surhumaines

                   Cherchent dans l'inconnu,

Je te salue, auguste et suprême puissance

Fanal mystérieux, qui brille, flamme immense,

                   Quand le temps est venu.


Je te salue, assise au-dessus des grands astres,

De l'éternité sainte étoilant les pilastres.

                   Esprit éblouissant,

C'est toi qui, sous le nom de liberté, dans l'ombre,

Guides l'humanité, c'est toi qu'austère et sombre,

                   Vois le prophète ardent.


Et nous tous ici-bas, lévites ou grands prêtres

Qui regardons passer dans les branches des hêtres

                   Les noirs frémissements,

Soyons grands, soyons fiers, nous qui sommes poètes ;

C'est un sacré verse dans l'ombre sur nos têtes,

                   Un sacre sur nos chants.


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L'esprit se tut ; partout s'éteignait la lumière,

Et le vent froid des nuits passait sur la bruyère.


                                                                           Paris, janvier 1865

 

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