La clameur
De toutes les rumeurs éparses
Elle se fera, la clameur !
Elles sont les sombres comparses
De l’immense et terrible chœur.
Elles montent jusques aux nues,
Traînant des plaintes inconnues
Qui s’étouffent sous le ciel lourd
Ou vont se perdant sur la terre,
Sur la terre inhospitalière,
Sourde comme le ciel est sourd.
Rumeurs d’océans et de foules
Déferlant en profonds remous,
S’en allant par immenses houles
Dans l’ouragan qui les dissout.
Rumeurs de révoltes, de haines,
De proscrits secouant leurs chaînes ;
Cris d’épouvante, de fureur.
Et dans l’horreur universelle,
Parfois, passant comme un coup d’aile,
Un grand souffle rénovateur.
Troupeaux saignants, hordes humaines
Gémissent éternellement,
Et toutes leurs plaintes sont vaines
Autant que les plaintes du vent.
Les Madagascar, les Fourmies
Tombent sur la foule endormie.
Depuis toujours il est ainsi,
Tandis que, pareille au vampire,
Quelque promesse vient bruire
Sur le désespoir infini.
Clameur de peuples qu’on égorge
Partout surgit et va montant
Dans l’ombre, comme un bruit de forge,
Sans cesse va retentissant.
Ce sont les forces éternelles
Préparant les aubes nouvelles
Du séculaire renouveau ;
Malgré la haine et la tourmente,
C’est là que brûle, flamme ardente,
L’idéal, éternel flambeau.
Aujourd’hui, fait rage l’orgie
Du pouvoir et du capital,
Sur la terre, de sang rougie,
Ils mènent le galop final.
Sur les morts et sur les ruines,
Les bourgeois chantent leurs matines,
Pareils au corbeau sépulcral ;
Mais déjà passent leurs têtes
Les clameurs soufflant en tempête,
Et la mort porte le fanal.
Croissez, puissances inconnues,
Montez menaçantes clameurs,
Frappez vos ailes dans les nues,
Le coq rouge chante aux dormeurs
L’erreur qui façonne les hommes
En tous les monstres que nous sommes :
Lâches, esclaves, durs tyrans
Fuit devant l’ardente lumière
Du vrai qui changera la terre
Pour des hommes libres et grands.