La chanson des dos
Dédié à Félisque
Quand les heur’s a tomb’ comme un glas
La nuit quand y fait du verglas
Ou quand la neige a s’amoncelle,
À la Chapelle.
Aristide Bruant
La Guyane est à nos Césars,
Comme la Sibérie aux tsars ;
Faut pas qu’un anarchis revienne
De Cayenne.
Ni les anarchis, ni tous ceux
Qui prétend’ qu’on peut être mieux
Et qu’il faut qu’la liberté vienne
Sans Cayenne.
Liberté d’quoi ? Eh ! donc Clampin !
Liberté de crever de faim.
Il faut bien que l’ord’ se soutienne
Par Cayenne.
C’est la moind’ chos’ que tout chacun
Paye ce tribut opportun,
Que tout en’mi d’ l’État s’ promène
À Cayenne.
Pour nous et nos gouges, le soir,
On fait paisibles les trottoirs,
En j’ttant tout chacun qui s’démène
À Cayenne.
Qui donc dirait que Canovas,
À Montjuich ne torture pas ?
Qu’on n’assassine pas en Guienne
À Cayenne ?
Qui qu’applaudit avec fureur,
À la ballade de not’ emp’reur,
Là-bas où la potence est reine
Comm’ Cayenne.
Qui qu’eût crié viv’ Casimir,
Si l’on nous avait fait partir ?
Y a pas risque qu’on nous y mène
À Cayenne.
C’est les marmites ni les dos
Qui gueulent pour des temps nouveaux,
Et Mélin’ veut pas qu’on nous prenne
Pour Cayenne.
Nous ne faisons qu’ chercher dans l’ tas,
Les détritus des Panamas ;
Nous ne sommes pas d’ ceux qu’on traîne
À Cayenne.
Du reste, à monsieur Bérenger,
Nous promettons nous marier,
Quand nous aurons la poche pleine
Sans Cayenne.
Y’a pas qu’ nous qui sommes maq….x,
Six grands pouvoirs furent les dos
De la Turquie en sa géhenne
Loin d’Cayenne.
Où les puissances, proprement,
Furent marmites du Sultan,
Sans aller faire quarantaine
À Cayenne.
Nous sommes les soutiens d’ l’État,
Parfois aussi un magistrat,
Prend fem’ chez nous sans qu’on l’emmène
À Cayenne.
Le temps n’est pas d’honnir les dos
Nous sommes avec les pu gros.
Ils empêchent qu’on nous détienne
À Cayenne.
Ô la belle institution !
Par ce temps de troubles sans nom
Où qu’un dix-huit mars se ramène,
Que Cayenne.
Ceux qu’on n’pouvait pas fair’ plier,
En mai, dans l’ ventre on mit d’ l’acier,
Aujourd’hui c’est une autre antienne
À Cayenne
Des tas de morts ça sent mauvais,
Le progrès s’est fait ; désormais
Ne faut plus qu’un macchabée traîne
À Cayenne
Y a vingt-six ans on vit voler
Dans Paris des mouch’ de charnier,
On craint pu que la peste vienne
À Cayenne.
J’pense avec l’ gouvernement
Que les pavés couverts de sang,
C’est pas sain et qu’mieux vaut la plaine
De Cayenne.