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Louise MICHEL

HOMMAGES

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                                         Sur la "Virginie"







                                                          À ma voisine de tribord arrière


J'ai dit à Louise Michel :

Nous traversons pluie et soleil

Sous le cap de Bonne Espérance ;

Nous serons bientôt tous là-bas ;

Eh bien ! je ne m'aperçois pas

Que nous ayons quitté la France.


Avant d'entrer au gouffre amer,

Avions-nous moins le mal de mer ?

Mêmes effets sous d'autres causes,

Quand mon cœur saute à chaque bond,

J'entends le pays qui répond :

Et moi, suis-je donc dur des roses ?


Non loin du pôle où nous passons,

Nous nous heurtons à des glaçons,

Poussés par la vitesse acquise.

Je songe alors à nos vainqueurs ;

Ne savons-nous pas que leurs cœurs

Sont plus durcis que la banquise ?


Le phoque entrevu ce matin

M'a rappelé dans le lointain,

Le chauve Rouher aux mains grasses ;

Et ces requins qu'on a péchés

Semblaient des membres détachés

De la commission des grâces.


Le jour, pour des grandes chaleurs,

Où l'on déploya les couleurs

De l'artimon à la misaine,

Je crus, dois-je m'en excuser,

Voir Versailles se pavoiser

Pour l'acquittement de Bazaine.


Nous allons voir sur d'autres bords

Les faibles mangés par les forts ;

Tout comme le prêchent nos codes.

La loi c'est malheur au vaincu.

J'en étais déjà convaincu

Avant d'aller aux antipodes.


Nous avons, êtres imprudents,

Bravé bien d'autres coups de dents,

Car, ceux dont la main s'est rougie

Dans les massacres de Kanak,

Donneraient au plus vieux Kanak

Des leçons d'anthropophagie.


Ira-t-on comparer jamais

L'usage qui se fait des mets,

Des corps morts trouvés dans les havres,

À ses amis de feu César

Qui, pour le moindre Balthazar,

S'offrent trente mille cadavres ?


L'Osage, on ne peut le nier,

Assouvit sur son prisonnier

Des fringales souvent fort vives ;

Mais avant de le cuire à point,

Il lui procure un embonpoint

Qui fait honneur à ses convives.


Je connais un Pantagruel,

Non moins avide et plus cruel.

Les enfants, les vieillards, les femmes

Que tu guettes pour ton dîner,

Avant de les assassiner,

Ô Mac-Mahon, tu les affames.


Puisque le vaisseau de l'Etat

Vogue de crime en attentat

Dans une mer d’ignominie.

Puisque c'est l'ordre moral,

Saluons l'océan Austral

Et restons sur la Virginie.


Il y fait trop chaud ou trop froid

Je ne prétends pas qu'elle soit

Précisément hospitalière,

Quand on marche dans le grésil,

Près d'un soldat dont le fusil

Menace l'avant et l'arrière.


Ce mât qu'un grain fait incliner,

Le vent peut le déraciner,

Le flot peut envahir la cale ;

Mais ces ducs déteints et pâlis,

Crois-tu qu'ils n'aient aucun roulis

Sur leur trône de chrysocale ?


Que nous soyons rêveurs ou fous,

Nous allons tout droit devant nous ;

Tandis, et c'est ce qui console,

Qu'à les regarder s'agiter

On devine, à n'en pas douter,

Qu'ils ont détraqué leur boussole.


Nous pouvons sombrer en chemin ;

Mais je prévois qu'avant demain,

Sans me donner pour un oracle,

Leur sort sera peu différent.

Qui veut défier le courant

Est emporté par la débâcle.


                                                                             Henri Rochefort

                                                   Novembre 1873, à bord de la Virginie