Hiver et nuit
Centrale d’Auberive, 28 novembre 1871
Soufflez, ô vents d’hiver ! tombe toujours, ô neige !
On est plus près des morts sous tes voiles glacés.
Que la nuit soit sans fin et que le jour s’abrège.
On compte par hivers chez les froids trépassés.
J’aime sous les sombres nuées,
Vos hautes branches, sapins verts,
Vos branches des vents secouées
Et qui gémissent dans les airs.
Ceux qui sont descendus dans l’ombre
Vers nous ne reviendront jamais,
D’hier ou bien de jours sans nombre
Ils dorment dans la grande paix.
Quand donc, comme on roule un saire
Aux morts pour les mettre au tombeau,
Sur nous tous verra-t-on notre ère
Se replier comme un manteau ?
Pareil au grain qui devient gerbe
Sur le sol arrosé de sang,
L’avenir grandira superbe
Sous le rouge soleil levant.
Soufflez, ô vents d’hiver ! tombe toujours, ô neige !
On est plus près des morts sous tes linceuls glacés,
Que la nuit soit sans fin et que le jour s’abrège,
On compte par hivers chez les froids trépassés.