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Louise MICHEL

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LES ANNÉES TERRIBLES

                                          Éternité

                                         À nos vainqueurs




                                                       Prison de Versailles, octobre 1871

      

       On en est à ce point de honte

       De dégoût profond et vainqueur,

       Que l’horreur ainsi qu’un flot monte,

       Que l’on sent déborder son cœur.

       Vous êtes aujourd’hui nos maîtres ;

       Notre vie est entre vos mains ;

       Mais les jours ont des lendemains,

       Et parmi vous sont bien des traîtres.


Passons, passons les mers, passons les noirs vallons,

                            Passons, passons

Passons, que les blés mûrs tombent dans les sillons.


       Envoyez-nous loin de la France ;

       Les pieds y glissent dans le sang ;

       Les vents y soufflent la vengeance ;

       Entre nous, l’abîme est trop grand.

       Laissez-nous, partir tous ensemble

       Dans les tempêtes de l’hiver,

       Sur les flots grondants de la mer,

       Vers quelque sol brûlant qui tremble.


       Là du moins, nous serons, mes frères,

       Sur un sol libre et généreux.

       Nos villes sont des cimetières ;

       L’ombre des palmiers vaut bien mieux

       Si tout passe comme les rêves.

       Le progrès a l’éternité ;

       Et toujours ton nom, liberté,

       Soufflera dans le vent des grèves.


       Creusez-nous une vaste tombe,

       Exil ou mort, mais pour nous tous :

       Là, comme la feuille qui tombe,

       Les heures passeront sur nous ;

       Sur nous, scellez dans l’ombre immense

       Qui couvre l’éternel repos,

       L’oubli de ce qui fut la France,

       Comme la pierre du tombeau.


       Mais sachez bien, vainqueurs sublimes,

       Que si vous en frappez un seul,

       Il faudra, poursuivant vos crimes,

       Sur tous étendre le linceul ;

       Nous fatiguerons votre rage,

       Pour vous jeter, froids assassins,

       Toujours notre sang au visage.

       Nous renaîtrons tous sous vos mains.


Passons, passons les mers, passons les noirs vallons,

                            Passons, passons

Passons, que les blés mûrs tombent dans les sillons.