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Louise MICHEL

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LA LÉGENDE RÉPUBLICAINE

                                 Curtius





Au milieu du forum s'ouvre un gouffre effrayant,

Et l'invincible ville a peur en s'éveillant,

                   Du sinistre miracle.

L'oracle, consulté par les prêtres des dieux,

Dit : « Il faut ce que Rome a de plus précieux. »

       Et Rome croit l'oracle !


Le gouffre ouvert mugit comme un sombre océan,

Rugit comme un lion et comme un ouragan.

                   Bouche du noir abîme,

La nuit en sort, mêlée à de rouges lueurs,

Oh ! c'est beau, s'il ne faut pour de telles horreurs

                   Qu'une seule victime !


Citoyens, ce que Rome a de plus précieux,

C'est ce jeune homme ayant dans l'éclat de ses yeux

                   Tout le ciel d'Italie ;

Dans le cœur, tout l'amour des austères Brutus

Pour la grande patrie. Approche, Curtius !

                   Ta vie est accomplie.


Pourquoi pâlir, Romains ! Il est doux de mourir

En sauvant son pays; il fait bon s'endormir

                   Sous le cyprès civique.

Et sur son cheval blanc, hennissant de terreur,

Curtius, frémissant, s'écrie avec ardeur

                   « Vive la République ! »


Ils tombèrent tous deux : le cheval effrayant

De terreur et couvert d'une écume de sang ;

                   Le maître magnifique !     

L'abîme se ferma; mais sous terre on entend

La voix de Curtius, dans la nuit, répétant :

                   « Vive la République ! »


Rome encore parfois s'éveille à cet accent

Et se lève soudain, tant il est menaçant,

                   Le crieur fatidique.

Mais elle se rendort dans un songe accablant...

Hélas ! ô Curtius, ta mort devait pourtant

                   Sauver la République !...


                                                                     Paris, juillet 1862