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                                  Chansons des flots




                                                     I


L’Océan mugit et palpite

Dans le vaste abîme des eaux,

Et plus largement et plus vite

Les fleuves courent vers les flots ;

Du fond de la mer haletante,

Sortent de longs mugissements ;

Avec ces râles d’épouvante,

Ô mer, pleures-tu tes enfants !


Racontes-tu, mère géante,

Comment tes fils des premiers jours,

Ont soulevé leur chair vivante

Dans les éléments en amours,

Comment, dans les chaleurs énormes

Parurent les étranges formes

Des monstres effrayants et lourds ?


Dans ce bardit de la tempête,

C’est le vent qui le redira,

Toute voix humaine est muette ;

Nul barde ne le chantera.

Le vent qui va, frappant ses ailes

Parmi des tourmentes nouvelles,

C’est le vent qui le redira.


La terre tremble, le sol fume

Au milieu de la grande nuit.

De ses blanches griffes d’écume.

Le flot s’allonge et l’éclair luit.

Un jour, pour son œuvre géante,

L’homme prendra ta force ardente,

Nature, dans la grande nuit !


Toute ta puissance, ô nature !

Et tes fureurs, et ton amour,

Ta force vive et ton murmure,

On te les prendra quelque jour ;

Comme un outil pour son ouvrage,

On portera de plage en plage,

Et tes fureurs et ton amour.


                                                    II


La mer monte, le flot s’élève ;

C’est l’heure où s’éteint le couchant,

L’heure de la nuit et du rêve

Où parlent les flots et le vent.

D’hier ou bien de jours sans nombre,

Voici tout le passé dans l’ombre,

Tout, sans cesse se transformant.


Voici la terre à son aurore,

Ainsi qu’un soleil flamboyant ;

Sur le cratère ardent encore,

Le premier archipel flottant,

Qui sous la noirâtre buée,

Entre la flamme et la nuée,

Émerge pour l’effondrement.


Comme au four du potier l’argile,

Les monstres au granit pareils,

Les rochers, le sable fragile

Fondent, redevenant vermeils ;

Les océans, coupes trop pleines

Se versent, recouvrant les plaines ;

Tous les cratères sont soleil.


Enfin la plante ouvre la terre

Et les grands monts sont soulevés,

Jetant sur le fauve repaire

Leurs abîmes, bouleversés.

Tout se dévore ! êtres et mondes

Emplissant de gueules immondes

Les continents bouleversés


Enfin, les éléments s’apaisent ;

Le sol mouvant pour s’affermir.

Dans les tourmentes qui se taisent,

Des races vont croître et mourir,

À peine si, parfois encore,

On voit à quelque rouge aurore

Les vieux rivages s’engloutir.


Comme sur le hêtre ou le chêne,

Par anneaux on compte les ans ;

Le sol a la trace lointaine

De tous ces profonds changements,

Toujours, toujours, les vastes ondes,

Les antres, les forêts profondes

Fourmillent d’êtres dévorants.


Cependant, à chaque naufrage,

Le progrès grandit lentement ;

Et toujours on va d’âge en âge

À quelque épanouissement ;

On n’est rien que la brute humaine ;

Mais la race haute et sereine

Aura son accomplissement.


Avant que la terre ne meure,

L’homme qui nous succédera

Transfigurera sa demeure ;

La nature le servira.

Ère de héros, de poètes,

Pour eux au milieu des tempêtes

Tout élément travaillera.


                                                   III


Les gouttes d’eau sont bien des mondes ;

Elles ont leurs monstres flottants.

Qui connaît leurs aurores blondes ?

Qui sait leurs combats de géants

Et les splendeurs que la nature

Prodigue dans la moisissure,

Qui leur forme des continents ?


Grondez, grondez, flots monotones !

Passez, passez, heures et jours !

Frappez vos ailes, noirs cyclones ;

Ô vents des mers ! soufflez toujours ;

Emportez, houles monotones !

Hivers glacés, pâles automnes,

Et nos haines et nos amours.

Louise MICHEL

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