À Victor Hugo
Quand le poète prend tous les cris de son âme,
Tout le sang de son cœur, tout ce qu'il a de flamme,
Tout ce qu'il a de beau,
Il l'enferme en un chant ou de harpe ou de cuivre,
Dans la strophe grondante, et le met dans un livre
Ainsi qu'en un tombeau.
Et le livre s'emplit de visions nombreuses
Qui s'éveillent dans l'ombre et montent radieuses
Au ciel mystérieux !
Chaque fois qu'une main vient soulever la page
On les voit s'envoler, menant de plage en plage
Leur vol audacieux.
Le noir chevet des morts, le gibet de l'esclave,
Ô mon livre ! Ont sur toi leur ombre triste et grave :
Je te donne au banni.
Va-t'en, livre fidèle, et parle-lui de France,
Et remplis en passant de rayons d'espérance
Le profond infini.
Paris, 1860
Voyez-vous dans la brume un rocher couvert d'ombre ?
Le maître est là debout, comme Dante exilé.
A ses pieds est la mer avec ses bruits sans nombre,
Sur son front est le ciel, le grand ciel étoilé.
Avez-vous jamais vu sur la brèche fumante
Le soldat insulter son chef ou son drapeau ?
Et nous irions nous tous, quand la lutte est ardente,
Outrager Lamartine ou blasphémer Hugo !