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Louise MICHEL

L'ALBUM DE JEUNESSE

         À Monsieur Auguste Vitu
                      auteur de l'article intitulé

                  « Physionomie de quelques signatures »
                   inséré au livre des
Quatre cents auteurs


Des ombres du tombeau, Nostradamus s'éveille,

Aux clameurs d'ici-bas il a prêté l'oreille,

Et porteur d'un secret appris dans les tombeaux

Vient de la capitale attrouper les badauds;

Il ne s'agit ici d'émeute aux baïonnettes,

De spectre ambulant ni de marionnettes;

Non, c'est beaucoup plus rare et peut-être un peu mieux.

Aussi de toutes parts courent les curieux.


Au milieu de Paris tombant à l'improviste,

Sous le nom de Vitu le voilà journaliste,

Étalant à nos yeux du fond de son bureau,

Pour juger les humains, un système nouveau,

On pourra désormais, dans chaque signature,

Connaître de chacun et l'esprit et l'allure;

Pour lire au fond des cœurs il ne faut qu'un seul trait,

Avec un coup de plume on trace son portrait !...

Vous connaissez les mœurs, l'âme par l'écriture

Eh bien ! Sire devin voici ma signature :



Dites-moi qui je suis, ma vie et mes penchants !

Si j'ai des cheveux noirs ou bien des cheveux blancs,

Si je préférerais et l'ombre et le mystère

Au bûcher triomphal de Jeanne la guerrière !

Si j'aime la nuit sombre ou la splendeur du jour,

Si j'ai rêvé la gloire ou le cloître ou l'amour !

La rosée épandant ses perles sur le monde,

Le murmure du saule et des roseaux sur l'onde

Parlent-ils à mon cœur plus qu'une vieille croix

Ou les échos lointains du cor au fond des bois ?


À l'heure où dans la nuit des rondes infernales

Semblent se balancer sur les tours féodales ;

Quand la brise du soir gémit sur les créneaux,

Quand le rossignol chante au penchant des coteaux,

Dis-moi Nostradamus si l'on vit, dans la brume,

Un coursier tout couvert de poussière et d'écume

M'emporter sur les monts et franchir les torrents,

Les plaines, les forêts sur les ailes des vents?

Dis-moi maître sorcier si, modeste fileuse,

Je vois couler ma vie uniforme et rêveuse ;

Si le léger fuseau qui tourne entre mes doigts

De son bruit monotone accompagne ma voix ?

Dis-moi si j'aime mieux danser dans la prairie

Que prier vers le soir à l'autel de Marie,

À l'heure où de la nuit tous les pâles flambeaux

Jettent quelques lueurs au marbre des tombeaux ?

Dis si le poids des ans, déjà, courbe ma tête

Et pèse sur mon front battu par la tempête ;

Si, de rides couvertes et marchant pas à pas,

Je vois avec effroi s'approcher le trépas ;

Ou si du vieux manoir, altière châtelaine,

Je foule sous mes pas jasmin, rose et verveine ;

Si mon âme est de fer ou de glace ou de feu,

Si ma lyre a chanté pour le monde ou pour Dieu ?

Des vallons et des bois, suis-je la fée antique 

Qui vole dans les airs, sur son balai magique?


Lisez et méditez mon paraphe à loisir ;

Et si ce passe-temps vous fait quelque plaisir,

Je puis vous envoyer du fond de la Champagne

Les grimoires affreux des muses de campagne.


Tirez mon horoscope ou mordant ou flatteur.

Mais s'il était contraire à mes goûts, à mon cœur,

S'il cloche en quelque chose : aux lys de la vallée,

Aux échos de nos bois, à la nuit étoilée,

Je saurai répéter, du haut des vieux créneaux,

Qu'aux devins ont menti les esprits infernaux.


                                                                                                                             Château de Vroncourt

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