Page MENU GENERAL
Page Louise MICHEL

Louise MICHEL

L'ALBUM DE JEUNESSE

                              À l'empereur


                                                                              Pour lui demander la grâce
                                                                       des condamnés de mars 18 5 8,

                                                                                          Orsini, Rudià, etc.




Miséricorde, sire ! Oh ! Quel que soit le crime.

Le pardon est si beau ! Pardonner, voyez-vous

C'est être presque Dieu. Quelle gloire sublime

Peut procurer à l'âme un bonheur aussi doux ?


Grâce au nom de cet ange assis sur votre trône

Au nom de cet enfant que Dieu vous a donné !

Grâce, afin qu'à son tour, il porte la couronne,

Il en est qui diront : Son père a pardonné !


Mais aussi grâce au nom de ces tristes victimes

Qui moururent pour vous quand le coup fut porté.

Ô pardon, à genoux. Dans les célestes âmes

Cette grâce, en leur nom, c'est leur éternité.


Sire, ceux qui sont morts dans ces heures funestes,

Ont besoin qu'on pardonne, et la sainte cité

Se ferme à ceux qu'on venge. Aux phalanges célestes

On ne recevrait pas un front ensanglanté.


Les anges se diraient, en se voilant la face :

Pourquoi ce sang encore en France répandu ?

Et nos derniers neveux, maudits de race en race,

Diraient avec effroi « L'implacable est perdu. »


Sire, le crime est grand, mais quelle horrible attente !

Au moins ceux qui sont morts, dans leurs rêves, la nuit,

N'ont point vu l'échafaud dans sa forme effrayante,

Ils n'ont jamais compté chaque instant qui s'enfuit.


Et lorsque le sommeil fermait leurs yeux humides

Ils n'ont pas vu surgir des fantômes hideux,

Visions de l'enfer qui se poussent rapides

Et peuplent dans la nuit les cachots ténébreux.


Et la foule houleuse, ainsi qu'aux jours de fête,

Et le bourreau debout, oui, sire, le bourreau,

Celui dont on s'éloigne en détournant la tête,

Horreur ! Horreur ! Horreur ! — Ô non, point d'échafaud.


Et puis interrogeant jusqu'au fond de nos âmes

Qui de nous, quelquefois, par son rêve emporté

N'a jeté tout son cœur dans des songes de flamme ?

Qui de nous n'a crié : Liberté ! Liberté !


Si dans vos souvenirs, il s'élève un orage,

Pitié ! Pitié ! Pour eux. Le songe du banni

Est si brûlant parfois. Pitié, car un mirage,

Un jour, vous montrerait le spectre d'Orsini.


Oh ! Grâce il en est temps, grâce afin que Dieu donne

 À la France la paix, au monde le repos.

Grâce afin qu'à vos fils passe votre couronne ;

Que l'ombre de la croix protège leurs tombeaux.


Oui le forfait est grand, mais dans ce siècle étrange

Où l'on a vu le prêtre à l'autel du Seigneur

Par le prêtre frappé ! Dans cet affreux mélange

D'épouvantable crime et de sainte grandeur,


Qui donc implorera la clémence infinie ?

Qui pourra nous sauver de la fatalité ?

Que la religion protège la patrie,

Rien ne peut nous sauver, rien que la charité.


Oh ! Prions et pleurons, le front dans la poussière,

Revêtons le cilice et veillons dans la nuit,

Comme le roi-prophète, à genoux sur la pierre,

Gémissons : notre temps est peut-être maudit.

  

 ACCUEIL