À Blanqui
Envoi à notre ami Cipriani, le brave et cher ami qui nous manquait aux funérailles.
La mort, après dix ans de bagne,
A pris le vieux de la montagne ;
Eh bien oui ! nous meurtriers,
Eh bien oui ! lâche et vile meute,
C’était le père de l’émeute
Et nous sommes les émeutiers !
Peut-être si le peuple est brave,
S’il se lasse enfin d’être esclave,
D’émeute en émeute, on fera
Sa révolution première ;
De l’implacable égalitaire
Sur vous le niveau passera.
Pour l’homme la tombe est béante,
Mais l’idée est là flamboyante,
Planant sur l’enfouissement,
L’idée éblouissante et pure,
Qui monte et grandit sans mesure
Quand l’être retourne au néant.
De cette foule qu’on fusille,
Hier nous étions deux cent mille
Comme autrefois pour Victor Noir ;
Et Galliffet, menant l’armée,
Pouvait en levant son épée
Changer la crypte en abattoir !
Mais les monstres dans l’épouvante
Entendent la mer menaçante,
La grande mer des nations ;
Ils savent que l’heure est venue
Où la multitude inconnue
Dresse ses pâles légions !
Naguère, nous étions à peine
Une poignée, objets de haine
Que chacun osait renier,
Et sur la sanglante bannière
Le vieux révolutionnaire
Aujourd’hui prend le monde entier !
Debout pour les luttes dernières,
Nihilistes incendiaires,
Esclaves jacques serrons-nous ;
Tous ceux qui n’ont ni Dieux ni Maîtres,
Qui ne sont ni valets ni traîtres,
Saluons notre père à tous !
Salut pour ceux qui sont dans l’ombre,
Pêle-mêle entassés sans nombre,
Pour les fils, qui surent mourir !
Et toi, foule immense et grondante,
Devant toi pour la lutte ardente
Passent ceux qui doivent périr.