LE RAT DE VILLE
ET LE RAT DES CHAMPS
FABLE
DANS un trou caché dans la terre
Vivait paisiblement un rat,
Innocent, doux et solitaire.
Il n'avait jamais vu de chat
Le menacer de sa dent meurtrière,
Et ne connaissait pas même la souricière
Son bonheur était grand : car quelle est la souris
Qui n'ait senti la dent de Raminagrobis,
Ou n'ait été du moins trompée,
Et dans maint piège attrapée ?
Revenons à notre sujet.
Un rat de ses amis vivait
Dans les villes et l'opulence,
Jour et nuit y faisait bombance,
Goûtait tout, rongeait tout, furetait les buffets,
Et savourait les meilleurs mets.
Ce rat vint un jour voir notre souris sauvage :
- Eh quoi donc ! lui dit-il, c'est là ton hermitage ?
Crois-moi, quitte ce trou hideux,
Quitte ces racines, ces herbes.
Suis-moi dans mes palais superbes,
Là tout contentera tes vœux.
Notre souris le suit : sous un riche portique
Elle aperçoit bientôt un tapis magnifique
Couvert des plats les plus exquis.
Elle s'y précipite : hélas ! pauvre souris,
Que tu vas payer cher une telle imprudence !
Tandis qu'au sein de l'abondance
Elle goûte maint et maint plat,
Furtivement survient un chat,
Qui d'une gueule meurtrière,
Lui dévore la queue et lui mord le derrière.
L'infortuné raton s'enfuit en gémissant,
Et veut retourner à son champ,
Le citadin l'arrête : - oh ! non, non, je préfère
Mes racines à tous vos somptueux repas,
J'aime mieux rentrer dans la terre
Que d'avoir à craindre les chats.