Page HUGO Victor 1
Page MENU GENERAL

Victor HUGO

ŒUVRES DE JEUNESSE...

                         L’AVARICE ET L’ENVIE

                                                                

                                                                CONTE



L’AVARICE et l’Envie, à la marche incertaine,

              Un jour s’en allaient par la plaine

              Chez un méchant ou chez un fou,

Chez vous ou chez quelqu’un d’autre, ou chez moi-même… En somme

              Elles allaient je ne sais où,

              Comme le héron du bonhomme.

              Bien que sœurs, ces monstres hideux

Ne s’aiment pas ; aussi, tout le long de la route,

       Sans se parler, ils cheminaient tous deux.

              L’Avarice, le dos en voûte,

       Examinait ce coffre hasardeux

              Pour qui sans cesse elle redoute.

       L’Envie aussi l’examinait sans doute.

Comptant tous les écus dans son coffre entassés,

              Chemin faisant, dame Avarice

              Se répétait pour son supplice :

              «  Je n’en ai point encore assez ! »

       De son côté, l’Envie au regard louche,

              Lorgnant cet or, objet de tous ses soins,

              Disait, en se tordant la bouche :

              « Elle en a trop, car j’en ai moins. »

Chacune, à sa façon, méditait sur ce coffre :

              Désir soudain à leurs yeux s’offre,

Désir, ce dieu puissant, qui seul peut exaucer

       Tous les souhaits qu’on lui veut adresser.

              Désir dit aux deux sœurs : « Mesdames,

              Je suis galant, vous êtes femmes,  

       Choisissez donc tout ce qui vous plaira,

              Trésors, honneurs et cætera ;

              Surtout, expliquons-nous sans trouble :

              La première qui parlera

              Aura tout ce qu’il voudra :

              La seconde en aura le double. »

              Vous jugez dans quel embarras

              Ce discours mit nos deux luronnes ;

Avares, envieux, que faire en un tel cas ?

Chacune des deux sœurs en murmura tout bas :

« Que me font, ô Désir ! tes trésors, tes couronnes ?

Que m’importent ces biens que m’accorde ta loi ?

              Une autre en aura plus que moi ! »

              Et chacune à ce mot funeste,

              D’hésiter sans savoir pourquoi.

              Le Désir, dieu léger et leste,

              Les donne au diable, jure, peste,

              Et s’indigne de rester coi.

L’Envie enfin, toujours implacable et cruelle,

              Regarde sa sœur en grondant,

              Puis, tout à coup, se décidant :

              « Que l’on m’arrache un œil, dit-elle. »

  

 ACCUEIL