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Louis ARAGON

LA GRANDE GAÎTÉ

                TRIOMPHE DE LA MOUSTACHE



Dans une cravate paon triste

L’épingle à l’air de s’emmerder

Améthryste pic pic pic les petites perles

Le tout surmonté d’un Monsieur


Le Monsieur porte des paupières

Avec  mille plis sanieux qui font riche

Derrière l’or du lorgnon

Et quelle moustache imposante Blond filasse

Perpétué par le tabac


Il y aurait à dire des moustaches

Qu’elles sont l’honneur d’une nation qui n’en a pas d’autre

Le superbe baldaquin comme il surmonte élégamment

L’égout des lèvres et le petit fessier du menton


Le complet veston anonyme le bloum la légion d’honneur

Tout ça disparaît s’efface et la trogne

Petite violette s’éteint

Devant le poil qui part des narines

Pour s’effiler vers les bajoues


Telle est la majesté de la moustache

Que ce n’est pas seulement le pauvre con qui la porte

Qu’on ne voit plus à l’ombre de ce mancenillier

Mais que le paysage en ressent le contrecoup dévastateur

Les vitres se brisent le plancher se fend

Les tapis se roulent en silence

On remarque des repasseurs de couteaux

Qui s’arrêtent dans la rue et ne savent plus ce qu’ils

Ont bien pu faire de leur meule


La meule en réalité

S’est enfuie au pays des rêves Elle est

Tombées amoureuses des moustaches

Elle voudrait les aiguiser

Desiderata de l’émeri mais hélas

Elle a pris le mauvais chemin

Car les moustaches


Sont parties cahin-caha

Dans une direction tout autre et voyez-les

Là-bas pareilles à un aéroplane

Qui vont à travers le ciel pur d’une belle

Matinée hivernale

Vers la porte des cabinets



  

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