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Page ARAGON Louis 2

          TAPISSERIE DE LA GRANDE PEUR



Le paysage enfant de la terreur moderne

A des poissons volants sirènes poissons-scies

Qu’écrit-il blanc sur bleu dans le ciel celui-ci

Hydre-oiseau qui fait songer à l’hydre de Lerne

Écumeur de la terre oiseau-pierre qui coud

L’air aux maisons oiseau strident oiseau-comète

Et la géante guêpe acrobate allumette

Qui met aux murs flambants des bouquets de coucous

Ou si ce sont des vols de flamants qui rougissent

Ô carrousel flamand de l’antique sabbat

Sur un manche à balai le Messerschmidt s’abat

C’est la nuit en plein jour du nouveau Walpurgis

Apocalypse époque espace où la peur passe

Avec son grand transport de pleurs et de pâleurs

Reconnais-tu les champs de ville et les rapaces

Le clocher qui plus jamais ne sonnera l’heure

Les chariots bariolés de literies

Un ours Un châle Un mort comme un soulier perdu

Les deux mains prises dans son ventre Une pendule

Les troupeaux échappés les charognes les cris

Des bronzes d’art à terre Où dormez-vous ce soir

Et des enfants juchés sur des marcheurs étranges

Des gens qui vont on ne sait où tout l’or des granges

Aux cheveux Les fossés où l’effroi vient s’asseoir

L’agonisant que l’on transporte et qui réclame

Une tisane et qui se plaint parce qu’il sue

Sa robe de bal sur le bras une bossue

La cage du serin qui traversa les flammes

Une machine à coudre Un vieillard C’est trop lourd

Encore un pas Je vais mourir va-t’en Marie

La beauté des soirs tombe et son aile marie

À ce Breughel d’Enfer un Breughel de Velours

  

Louis ARAGON

LE CRÈVE-CŒUR

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