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                                  OMBRES



Ils contemplaient le grand désastre sans comprendre

D’où venait le fléau ni d’où venait le vent

Et c’est en vain qu’ils interrogeaient les savants

Qui prenaient après coup des mines de Cassandre


Avons-nous attiré la foudre par nos rires

Et le pain renversé qui fait pleurer les anges

N’avons-nous pas cloué la chouette à nos granges

Le crapaud qui chantait je l’ai mis à mourir


Aurais-tu profané l’eau qui descend des neiges

En menant les chevaux boire à leur mare bleue

En août lorsque ce sont des étoiles qu’il pleut

Qui de vous formula des souhaits sacrilèges


La malédiction des échelles franchies

Devra-t-elle toujours peser sur nos épaules

Nos vignes nos enfants nos rêves nos troupeaux

La colère du ciel peut-elle être fléchie


Ils regardent la nue ainsi que des sauvages

Et s’étonnent de voir voler chose insensée

Sous l’aile des oiseaux leurs couleurs offensées

Sans savoir déchiffrer l’énigme ou le présage


Nostradamus Cagliostro le Grand Albert

Sont leur refuge d’ombre et leur abêtissoir

Ils vont leur demander remède pour surseoir

Au malheur étoilé des miroirs qui tombèrent


Leur sang ressemble au vin des mauvaises années

Ils prétendent avoir mangé trop de mensonges

Ils ont l’air d’avoir égaré la clef des songes

Le téléphone échappe à leurs mains consternées


À leurs poignets ils ne liront plus jamais l’heure

Reniant le monde moderne et les machines

Eux qui croyaient avoir la muraille de Chine

Entre la grande peste et leurs bateaux de fleurs


Quelle conjugaison des astres aux naissances

Expliquerait leur nudité leur dénuement

Et ces chemins déserts de Belle au Bois dormant

Sous la dérision des pompes à essence


Dans le trouble sacré qu’enfantent leurs remords

Tout ce qu’ils ont appris leur paraît misérable

Ils doutent du soleil quand le sort les accable

Ils doutent de l’amour pour avoir vu la mort



  

Louis ARAGON

LE CRÈVE-CŒUR

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