LE PRINTEMPS
J’écoutais les longs cris des chalands sur l’Escaut
Et la nuit s’éveillait comme une fille chaude
La radio chantait Elle ne blesse qu’au
Cœur ceux qu’atteint cet air banal où l’amour rôde
Une fille rêvait sur le pont d’un bateau
Près d’un homme étendu mais moi-même rêvais-je
Une voix s’éleva qui disait À bientôt
Une autre murmurait qu’on mourait en Norvège
Ô frontaliers ô frontaliers vos nostalgies
Comme les canaux vont vers la terre étrangère
La France ici finit ici naît la Belgique
Un ciel ne change pas où les drapeaux changèrent
Nous l’avons attendu bien longtemps cette année
Le joli mois où les yeux sont des violettes
Où c’est un vin qui vit dans nos veines vannées
Et le jour a des fleurs de pommier pour voilette
Nous l’avons attendu ce renaissant Messie
Ce Dieu qui meurt d’amour avant la fenaison
Nous l’avons attendu longtemps cette fois-ci
Si longtemps qu’on n’y croyait plus dans les prisons
Couleur de terre et sourds au monde avec des casques
Des masques et du cuir barrant nos cœurs soldats
Nous avions guetté les modernes tarasques
Tout l’hiver l’arme au pied pliant sous nos bardas
On rit bien quand on pense à ceux qui couchent nus
Aux enfants dans la rue avec leur trottinette
Ah sans doute qu’Euler aveugle devenu
Étudia l’inégalité des planètes
Mais nous sans yeux nous sans amour nous sans cerveau
Fantômes qui vivons séparés de nous-mêmes
Vainement nous attendions le renouveau
Nous n’avons inventé que d’anciens blasphèmes
Allons-nous retrouver la vie ô faux défunts
Car est-ce une porte qui s’ouvre enfin car est-ce
Enfin le printemps qui arrive et son parfum
Bouleverse le vent ainsi qu’une caresse
Pour qui pourtant les fleurs hormis toi que j’aimai
Et le plus beau printemps je ne saurais qu’en faire
Sans toi mais le plus bel avril le plus doux mai
Sans toi ne sont que deuil ne sont sans toi qu’enfer
Rendez-moi rendez-moi mon ciel et ma musique
Ma femme sans qui rien n’a chanson ni couleur
Sans qui Mai n’est pour moi que le désert physique
Le soleil qu’une insulte et l’ombre une douleur