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       LE POÈME INTERROMPU


Même tout seul l’oiseau au fort

Du massacre ne s’est pas tu

Nous aurons chanté combattu

Ma belle amour mais où es-tu

Porteurs d’animaux et d’amphores

Voici venir doux et têtus

Les champs de Mai pleins de laitues

Comme à l’église les statues

Des saints pèlerins zoophores

Peintes de toutes les vertus


Saison des couleurs avenir

Sans force encore au jour naissant

Blême blessé que l’aube assemble

Quel songe dans le ciel enjambe

La nuit qui ne veut plus finir

Comme aux temps d’autrefois tu trembles

Nos cœurs disjoints ne vont pas l’amble

Un printemps au printemps ressemble

Sans toi ce n’est qu’un souvenir

Notre printemps c’est d’être ensemble


Faible soleil désemparé

Triste comme un hôtel à vendre

Comme un feu qui ne peut reprendre

Comme un baiser qu’on ne peut rendre

Ce matin les rideaux tirés

Revoici la brume des Flandres

Notre printemps se fait attendre

Le ciel est facile à comprendre

Lorsque nous sommes séparés

Pourquoi l’air se ferait-il tendre


Qu’est le bonheur Pour tout frisson

Les amants de Vérone n’eurent

Que le noir véronal qu’ils burent

Mais à toi ce verre d’azur

Ce trille étrange ma chanson

D’entre les chars et les armures

Elle monte Elle est assez pure

Pour passer par-dessus les murs

Et les gens que nous connaissons

Ô mon amour ô ma blessure

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .   .  .  .  .  .  .  .  .  . 

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .   .  .  .  .  .  .  .  .  . 

                                               10 Mai 1940, au petit matin.

  

Louis ARAGON

LE CRÈVE-CŒUR

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