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Louis ARAGON

LE CRÈVE-CŒUR

                      LA VALSE DES VINGT ANS




Bon pour le vent bon pour la nuit bon pour le froid

Bon pour la marche et pour la boue et pour les balles

Bon pour la légende et pour le chemin de croix

Bon pour l’absence et les longs soirs drôle de bal

Où comme j’ai dansé petit tu danseras

Sur une partition d’orchestre inhumaine

Bon pour la peur pour la mitraille et pour les rats

Bon comme le bon pain bon comme la romaine


Mais voici se lever le soleil des conscrits

La valse des vingt ans tourne à travers Paris


Bon  pour la gnole à l’aube et l’angoisse au créneau

Bon pour l’attente et la tempête et les patrouilles

Et bon pour le silence où montent les signaux

La jeunesse qui passe et le cœur qui se rouille

Bon pour l’amour et pour la mort bon pour l’oubli

Dans le manteau de pluie et d’ombre des batailles

Enfants-soldats roulés vivants sans autre lit

Que la fosse qu’on fit d’avance à votre taille


La valse des vingt ans traverse les bistrots

Éclate comme un rire aux bouches du métro


Ô classes d’autrefois rêves évanouis

Quinze seize dix-sept écoutez Ils fredonnent

Comme nous cette rengaine et comme nous y

Croient et comme nous alors Le ciel leur pardonne

Préfèrent à leur vie un seul moment d’ivresse

Un moment de folie un moment de bonheur

Que savent-ils du monde et peut-être vivre est-ce

Tout simplement Maman mourir de très bonne heure


Bon par-ci bon par-là Bon bon bon Je pars mes

Chers amis Vingt ans Bon pour le service armé

Ah la valse commence et le valseur selon

La coutume achète aux camelots bruns des broches

Mais chante cette fois la fille à Madelon

J’ai quarante ans passés Leurs vingt ans me sont proches

Boulevard Saint-Germain et rue Saint-Honoré

Aux revers chamarrés de la classe quarante

Le mot Bon se répète en anglaise dorée

Je veux croire avec eux que la vie est marrante


J’oublierai j’oublierai j’oublierai j’oublierai

La valse des vingt ans m’entraîne J’oublierai

              Ma quarantaine en l’an quarante

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