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                 LA NUIT EN PLEIN MIDI



Il règne sur la ville une nuit négatrice

L’Arlequin blanc et noir noir et blanc devenu

N’y voit rien de changé sinon que les actrices

Accrochent au moyen d’épingles à nourrice

L’ombre des rayons X à leur épaule nue

Équation fantôme aux belles inconnues

Ces jours-ci s’est ouvert le Carnaval de Nice

Personne excepté moi ne s’en est souvenu


Une lumière inverse encre la mascarade

Sous les mimosas noirs un feuillage de lait

Donne aux jardins fardés leur éclat de salade

Accrochés au-dessous des étoiles malades

Un châle de lueurs y drape ses chalets

Dans leur panier de fleurs immobile ballet

Football pétrifié descendant vers la rade

Le peuple des maisons prend des airs de palais


Gratte-ciel florentins Kremlins miniatures

Dédale de Delhi Poker d’as à cent dés

Alhambras délirants Villas Architectures

Venise au pied petit Schœnbrunn caricature

Cauchemar mil neuf cent Palaces d’orchidées

Où Pelléas épelle un noir a b c d

Et les cheveux épars rêve de stucatures

En chemise de nuit Mélisande accoudée


Balcons céruléens ornés de figurines

Saxes dépaysés Tanagras et grigris

Le cygne de minuit  vient chercher Lohengrin

Et Lancelot-du-Lac qu’une Manon chagrine

Dévisage au tournant une fausse Marie

Bashkirtseff qui causait avec des Walkyries

Bedlam ou Charenton Près de la Fornarine

Desdémone a surpris Othello son mari


Le geste au ralenti que fait le discobole

Lance une lune opaque entre l’époque et nous

Que les farandoliers pour une farandole

La redoute commence où l’intrigue se noue

Où les dominos blancs ressemblent aux burnous

Juan Tenorio que poursuivent les folles

Ote le loup de l’une et reste sans parole

Ce n’est pas pour prier qu’il se jette à genoux


Amour abandonnons aux ténèbres mentales

Leur carnaval imaginaire Il me suffit

Du monde tel qu’il est sur les cartes postales

La gesticulation d’ombres monumentales

Commente le soleil de leur hypertrophie

Des passants à faux-nez l’un l’autre s’y défient

Ô nuit en plein midi des éclipses totales

Triste comme les rois sur leurs photographies

Louis ARAGON

LES YEUX D'ELSA

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