IMAGINER L'HIVER
Cet été n'aura pas de fin
Je ne sais plus le compte des jours ni des haltes
dans les cafés
Édens des hommes en blouses blanches
Ils ont laissé sur le chantier leurs ailes d'anges
Je fais la mouche depuis si longtemps sur les macadams
que je sens le goudron chauffé l'odeur du soleil qui se damne
et que mes cils ma langue mon cœur se collent à mon palais
plus sec que la façade en feu des immeubles de rapport
N'ai-je rien à faire ici-bas qu'attendre la neige
Sans doute brûle-t-elle aussi
Puisque je vis depuis toujours dans une fourrière
J'imagine le froid dont on m'a parlé comme une flamme
plus claire plus piquante et plus dansante à la fois
un débit de boissons toujours ouvert aux vagabonds
On achète à crédit Voilà l'hiver
Mais jamais les chaleurs ne se termineront
Je ne connaîtrai pas la fraîcheur des restaurants de luxe
réservés aux milliardaires à leurs chiens leurs femmes leurs
automobiles
À ce qu’il paraît
Les Hispano-Suiza s'abreuvent de curaçao
Et les maîtresses des gandins mettent des pièces de vingt
francs comme morceaux de sucre dans les alcools trop forts
Moi de l'autre côté des vitres
Je rôde je rôde je rôde
Mais on ne prend pas garde à mes yeux
Septembre 1921.