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Louis ARAGON

LA GRANDE GAÎTÉ

GOBI 28



Plus rien ne m'est cher pas même

La douceur étrange de l'été

Pas même

La colère et sa sœur la brebis

Je ne veux plus rêver je déteste

Le sommeil je ne veux plus

Rêver

Plus rien ne m'est cher pas même l'amour

Et quand je dis l'amour ce mot comme une mer

Étoiles étoiles qu'êtes

Vous

Devenues

Vous ne niez pas l'existence du vent

Pourquoi s'interroger sur son existence à soi-même

Et si je nie l'existence du vent


Je comprends aujourd'hui ceux qui mutilent

Ceux qui crèvent leurs tympans pour ne plus

Entendre un nom qui les fatigue

Leurs yeux pour ne plus voir la langueur d'autres yeux

Ceux qui lacèrent leurs lèvres afin

De les rendre hideuses de les

Rendre impropres aux baisers

À ce baiser qui est tout ce que j'ai retenu de la vie

Ceux qui brisent leurs dents

Ceux qui rompent leurs bras

Je comprends ceux qui s'émasculent


C'est tout ce que vous avez à me dire


J'ai regardé des morceaux de charbon

Comme ils avaient l'air heureux

J'ai regardé une boîte d'encaustique entamée

J'ai regardé sans rire des vaches à bécane

J'ai regardé toute une famille qui se grattait

Sur un bahut il y avait

Il y a eu

un billet de loterie

Je l'ai pris

Je l'ai posé

Sur un autre bahut ébahi

J'ai regardé le billet de loterie

J'ai regardé le premier bahut

J'ai regardé le second bahut


Nous sommes précisément le jour anniversaire

Des 3 Glorieuses de la première des 3

Mais il s'en faut de deux ans que cela fasse

Cent ans

Dans deux ans

Il y aura des fêtes à Paris le soir à pareille époque

Aux flambeaux

On promènera des cadavres ce sera charmant

  

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