Page MENU GENERAL
Page ARAGON Louis 2

                       ENFER-LES-MINES



Charade à ceux qui vont mourir Égypte noire

Sans Pharaon qu’on puisse implorer à genoux

Profil terrible de la guerre Où sommes-nous

Terrils terrils ô pyramides sans mémoire


Est-ce Hénin-Liétard ou Noyelles-Godault

Courrières-les-Morts Montigny-en-Gohelle

Noms de grisou Puits de fureur Terres cruelles

Qui portent ça et là des veuves sur leurs dos


L’accordéon s’est tu dans le pays des mines

Sans l’alcool de l’oubli le café n’est pas bon

La colère a le goût sauvage du charbon

Te souviens-tu des yeux immenses des gamines


Adieu disent-ils les mineurs dépossédés

Adieu disent-ils et dans le cœur du silence

Un mouchoir de feu leur répond Adieu C’est Lens

Oùb des joueurs de fer ont renversé leurs dés


Était-ce ici qu’ils ont vécu Dans ce désert

Ni le lit de l’Amour dans ce logis mesquin

Ni l’ombre que berçait l’air du Petit Quinquin

Rien n’est à ceux ni le travail ni la misère


Ils s’en iront puisqu’on les chasse ils s’en iront

C’est fini les enfants qu’on lave à la fontaine

Tandis que chante sous un ciel tissé d’antennes

La radio des bricoleurs dans les corons


Ils n’iront plus le soir danser à la ducasse

L’anthracite s’éteint aux pores de leur peau

Ils n’allumeront plus la lampe à leur chapeau

Ils s’en iront ils s’en iront puisqu’on les chasse


Les toits se sont assis sur le sol sans façon

Qui marche au milieu des étoiles brisées

Des fuyards jurent à mi-voix Une fusée

Promène dans la nuit sa muette chanson

  

Louis ARAGON

LE CRÈVE-CŒUR

 ACCUEIL