Thème 3  HISTOIRES D'ORIGINES   par NICOLE JEANNE-LEFORT

CEUX QUI...

Elle relevait son col de canadienne, en croisant serré l'écharpe au cou avec son air appliqué, puis lui tendait la gamelle qu'elle avait garnie. Le soin qu'elle prenait comme on borde un enfant dans son lit. Il partait, la nuit, ôter la neige des voies sur la ligne de Sceaux.

Celui qui nous berçait de sa voix monocorde en récitant ses cours le soir dans la cuisine et, nous serrées I'une dans I'autre,  couchées en chien de fusil dans la banquette dépliée de la salle à manger, nous nous endormions les yeux rivés sur le rai de lumière qui passait de dessous la porte d'où nous parvenaient leurs voix si familières.

Celui qui racontait ses souvenirs de guerre pendant le dîner et qu'on écoutait, en gobant les mouches, la cuiller suspendue à mi-chemin entre I'assiette et la bouche, ces femmes françaises aux bras des officiers à Charmes, village dans I'Est de la France,  qui regardaient partir pour Allemagne les colonnes de prisonniers à pied. Le film qui se déroulait devant nos yeux rêveurs d'enfants nous faisait souvent pleurer. Parfois, il arrivait à nous faire rire de ses péripéties de prisonnier lorsqu'il nous parlait des « boches », il était à la fois L’armée des ombres, la Bataille du Rail, La Vache et le Prisonnier et Un pont trop loin.

Il savait nous transporter dans ses aventures d’évadé.

ET PUIS ELLE...

Et puis elle, fille mère, fuyant la campagne pour monter à la ville où les lumières assuraient un salut à I'avenir de ce fils.

Et puis le portrait sépia,  la robe fluide, transparente presque, une couronne légère laissant tomber le voile à mi-épaule sur le beau et triste sourire figé.

Et puis elle, grand-mère, marraine, qui ne pensait jamais à rien m'offrir pour mon anniversaire.

Et puis lui, caché dans I'entrebâillement de la porte, pour m'offrir un bonbon, à I'insu d'elle, quand je partais à l'école.

Et elle qui allait danser en douce, avec les zazous, dans les caves de Saint-Germain.

Et lui qui cueillait des cerises… au noir, quand nous étions petits, pour nous faire mieux vivre.

NICOLE JEANNE-LEFORT