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Victor HUGO

                          LA ROSE
 
                                          FABLE

(une nuit)
Septembre 1816


DANS un riche parterre où mille et mille fleurs
Etalaient à l'envi leurs riantes couleurs,
Une rose régnait, fière de son calice
            Où brillait un vif incarnat,
      Elle élevait la tête avec éclat      
Au-dessus de l'œillet, au-dessus du Narcisse.
Le Zéphyre la vit : la voir c'était l'aimer ;
      Il l'aima donc. Le voilà qui caresse
De son souffle léger l'objet de sa tendresse,
             Et qui fait tout pour l'enflammer.
      A tant de soins la Rose fut sensible :
             (Belle n'est jamais inflexible.)
      Elle paya Zéphyre de retour.
Heureux s'ils avaient pu conserver leur amour !
      Ils jouissaient du sort le plus paisible,
      Lorsque Aquilon, le plus fier des Autans,
             Ce triste ennemi du Printemps,
Aperçut notre rose et, Malgré son long âge,
       Lui présenta son amoureux hommage.
  Rose d'abord le reçut froidement,
      Son cœur était tout entier à Zéphyre.
       Bientôt pourtant Il se laissa séduire
      Par le pouvoir de ce nouvel amant.
              Fière d'avoir sous son empire,
Le terrible Aquilon, le Roi des Ouragans,
              Elle dit au pauvre Zéphyre :
Retirez-vous, vos soins deviennent fatigants.
       Le Malheureux écoute, et se retire,
Et va conter sa peine aux échos du Vallon
              Cependant la Rose infidèle
Prodiguait ses faveurs au superbe Aquilon,
       Elle goûtait le plaisir d'être belle ;
       Fatal plaisir ! Que tu lui coûtas cher !
               Du haut d'un mont hyperborée,
               Un jour l'impétueux Borée
               Combattait les tyrans de l'air.
       Il voit la rose, il l'admire, Il l'arrête,
       Et la Dispute à son amant heureux.
               Aquilon défend sa conquête,
        Avec fureur, ils s'attaquent tous deux…
Leur combat effrayant épouvante le monde ;
               Tous deux ardens, audacieux,
De leurs longs sifflements font retentir les cieux ;
Tous deux troublent la terre et bouleversent l'onde
De Rose en un instant le jardin fut détruit,
        De ses amans elle fut la victime ;
        Ce fut ainsi qu'elle expia son crime.

De l'infidélité tel est le triste fruit.
                O toi, ma charmante Glycère,
Que Rose et ses Malheurs te servent de leçon.
Préfère ton amant avec une chaumière
A l'empire du monde avec un Aquilon.

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