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Victor HUGO

ODES ET BALLADES

À MES AMIS

ODE QUINZIÈME



Oh ! combien est heureux celui qui, solitaire,

Ne va point mendiant de ce sot populaire

L’appui ni la faveur ; qui, paisible, s’étant

Retiré de la cour et du monde inconstant,

Ne s’entremêlant point des affaires publiques,

Ne s’assujettissant aux plaisirs tyranniques

D’un seigneur ignorant et ne vivant qu’à soi,

Est lui-même sa cour, son seigneur et son roi !

JEAN DE LA TAILLE.

SANS monter au char de victoire,

Meurt le poète créateur ;

Son siècle est trop près de sa gloire

Pour en mesurer la hauteur.

C’est Bélisaire au Capitole :

La foule court à quelque idole,

Et jette en passant une obole

Au mendiant triomphateur.


Amis dans ma douce retraite.

À tous vos maux je dis adieu.

Là, ma vie est molle et secrète.

J’ai des autels pour chaque dieu.

Le myrte, qu’au laurier j’enchaîne,

Y croît sous l’ombrage du chêne ;

J’y mets Horace avec Mécène,

Et Corneille sans Richelieu.


Là, dans l’ombre descend ma muse

À l’œil fier, aux traits ingénus,

Image éclatante et confuse

Des anges à l’homme inconnus.

Ses rayons cherchent le mystère ;

Son aile, chaste et solidaire,

Jamais ne permet à la terre

D’effleurer ses pieds blancs et nus.


Là, je cache un hymen prospère ;

Et sur mon seuil hospitalier

Parfois tu t’assieds, ô mon père !

Comme un antique chevalier ;

Ma famille est ton humble empire ;

Et mon fils, avec un sourire,

Dort aux sons de ma jeune lyre,

Bercé dans ton vieux bouclier.


Août 1823.

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