TOUT S’EMMËLE, TOUT SE MÊLE
Aller au plus près de soi,
Ne pas se mentir
Respectons la consigne et jetons-nous à l’eau !
L’inspiration se noie dans l’émotion quand il s’agit de Lui.
L’ébauche du scénario était déjà écrite.
Il a ainsi marché à l’aveuglette,
Tiraillé entre négritude et judaïté,
Pour naître, après quelques bougies,
D’un homme qui, j’en conviens,
Me fait perdre tout sens de la réalité
Tant il prend tout l’écran.
Au commencement, l’élever,
Et finalement, Lui me fait grandir.
J’ai du mal à le dire.
Tout cela me dépasse.
Et pourtant, sur Lui, je pourrais noircir des pages entières, noires.
Mais, il m’éblouit, il m’aveugle, je l’avoue.
Je ne peux plus écrire.
Alors, je laisse tomber feuille blanche et crayon noir.
Au hasard, sur l’écran, les mots défilent
Sans pleins ni déliés, pluriels esquintés,
Accords mal accordés.
Puis, tout se resserre autour du Noir.
L’obscurité envahit la maison.
Mon petit chat noir sommeille en rond.
J’ai éteint la radio pour mieux traquer l’inspiration.
Sombre silence !
Qu’elle s’empare du clavier,
L’inspiration en partance n’a pas laissé d’adresse !
Sous un ciel bleu d’été parisien
Se sont élevés des cris, des « Maman ! »
Ils l’ont emmené malgré les pleurs,
L’épouse de l’apatride
Tous deux juifs venus de Mazovie.
Je vais au Mémorial de la Shoah.
Chercher son nom : Dewora Stolowa
M’effondre face à ce mur
Lui a-t-on gravé un numéro sur le bras
Comme ses ancêtres à Lui en ont eu un
Inscrit sur le registre d’un noir état civil ?
Je sors,
J’achète un livre, un petit livre,
Gros titre noir sur blanc :
Noirs, dans les camps nazis.
Je m’assois sous les marronniers et je lis
1904, expérimentation des premiers camps de concentration pour Africains en Namibie, par les premiers colons allemands.
Je tourne les pages,
Passe les années, les frontières
Allemagne, septembre 1935
Les lois de Nuremberg auraient aussi concerné les Noirs.
Je ferme le petit bouquin avant la fin.
J’enfonce les touches rageusement
Pour Dewora, cette tante que je n’ai pas connue
Pour Dodof, Pauline, Schendel, Esther, Chmil …
Vivant dans une impasse pas loin de la Bastille,
Que les rafles ont rendu en fumée
Et pour les autres, partis, un matin travailler
Sans jamais revenir.
Je viens d’acheter deux billets pour la Pologne
En mai, je pars avec Lui.
Le voyage à Auschwitz devient possible
Me voici prête à l’affronter
Affronter la terre de l’indicible, de l’intraduisible,
Pèlerinage vers ces sombres profondeurs
Qu’à l’instant je ne peux imaginer.
J’en ai cependant vu des étoiles jaunes et noires !
J’ai même touché un « pyjama » rayé
Et ma peau se souvient s’être mise à crier.
Là, je mêle toutes les souffrances de tous les racismes
Toutes les souffrances du même racisme.
Du regard haineux qui mène au génocide
La plaie du même mal, béante,
Saigne du même sang sur tous les flancs de la terre,
Encore et toujours, et en moi, dans mes entrailles.
Les rescapés témoignent dans les écoles !
Les passeurs de mémoire leur ouvrent les portes en grand !
Dans ma tête, tout s’emmêle, tout se mêle.
Voilà que me reviennent des faits de son enfance,
Je pensais les avoir évacués à jamais.
Ce ne fut qu’un répit, la tristesse colle à ma peau.
D’amour, je l’ai nourri.
De cela j’en suis sûre.
Mais je lui devais plus
Car fallait-il tant de vexations, d’humiliations
Quand il était petit pour qu’il devienne cet homme?
Intact, sensible et généreux
Aux idées déroutantes, inspirées de sagesse.
Autre par l’esprit, Lui Noir, dans la cour des Blancs.
Il m’aveugle, je l’ai dit.
Pour tout plein de raisons,
Je perds le sens de la réalité quand il s’agit de Lui.
Chantal T.